Pour qu’il y ait un lien de causalité entre deux choses, il faut que l’une des deux soit causée par l’autre. Par exemple, si je fais de l’insomnie durant la nuit, je serai fatiguée le lendemain. Il y a un lien de causalité entre mon insomnie et ma fatigue. Mais disons que, pendant mon insomnie, j’ai visionné trois épisodes d’une série sur Netflix. Ce n’est pas la série Netflix qui est responsable de ma fatigue. Mais c’est parce que je faisais de l’insomnie que je l’ai regardée, et c’est l’insomnie qui m’a rendue fatiguée. Il y a donc une corrélation entre le fait de regarder trois épisodes d’une série durant la nuit et ma fatigue, mais pas un lien de causalité.

Il arrive très souvent qu’on me dise que les textes qui respectent les règles de grammaire sont plus compréhensibles et mieux articulés. Que c’est le fait de maîtriser ces règles qui rend les textes plus faciles à lire. Mais est-ce vraiment à cause du respect des règles que les textes sont plus agréables à lire?

Y a-t-il un lien de causalité entre le fait de maîtriser les règles de la norme prescriptive et celui de faire des beaux et bons textes?

Analysons.

D’une part, est-ce qu’il existe des gens qui écrivent « sans faute », mais dont les textes ne sont pas beaux et bons? Dont les textes sont difficiles à comprendre, dont les arguments sont mal présentés? Qui ne passeraient manifestement pas les cours de rédaction de textes argumentatifs au cégep? Bien sûr. Je pourrais les nommer, mais bon. On les reconnaît. L’une de ces personnes m’a accusée d’être une « linguiste militante et relativiste ».

D’autre part, est-ce qu’il existe des textes qui soient bourrés de fautes, mais dont la structure et la lisibilité soient excellentes? Je suis certaine que mes collègues profs de français diront que oui. Moi-même, j’en ai lu plusieurs quand j’enseignais la rédaction à l’université. Le genre de textes auxquels on enlève tous les points pour la section « langue », mais auxquels on ne trouve aucune faille dans l’argumentation et la structure.

C’est évident qu’il arrive plus souvent qu’un texte qui respecte les règles soit « meilleur » qu’un texte qui ne les respecte pas. Mais qui connaît mieux les règles? Les personnes qui sont plus instruites, qui ont beaucoup lu, qui ont l’habitude d’écrire souvent. Ces personnes, souvent, appartiennent aux classes aisées, ont profité de tous les bénéfices de l’éducation qui leur a été offerte (en ayant les encouragements nécessaires des parents, par exemple, ou tout autre raison). Ces personnes peuvent avoir tiré profit des cours de philo qui enseignent l’argumentation.

Par ailleurs, il y a beaucoup plus dans la langue écrite que les règles de grammaire et d’orthographe. La structure des phrases, la manière de les agencer, la syntaxe, relèvent beaucoup plus de la logique interne de la langue que des règles elles-mêmes. Et c’est sans compter la culture, qui permet de faire des figures de style intéressantes, d’avoir des références ou de jouer avec certains concepts.

La maîtrise des règles de la norme prescriptive n’est pas en lien de causalité avec le fait d’écrire de bons textes compréhensibles. C’est une corrélation.

Les gens qui maîtrisent ces règles ont, très souvent, eu le privilège d’apprendre à structurer des textes et d’être nourris culturellement.

Il y a aussi des gens qui ont eu tous ces privilèges, mais qui écrivent quand même des textes merdiques dans les journaux populaires. Peut-être pourrait-on appeler cela l’effet [insérer le nom de votre choix]?