C’est grand 215 hectares, c’est même un peu plus grand que le parc du Mont-Royal et ses 190 hectares. Le dimanche 12 septembre, 200 personnes se sont réunies à l’appel du regroupement citoyen Technoparc Oiseaux pour manifester pour la protection de cet espace naturel peu connu. Période électorale oblige, le cortège comptait aussi plusieurs candidat.es aux élections fédérales et municipales.

Marais en péril

Le départ est donné au croisement du chemin Saint-François et de la rue Alexander-Fleming. Katherine Collin, ornithologue amateure et membre du regroupement, assure la visite guidée, mégaphone à la main. On longe d’abord les terrains privés de la société immobilière Morguard. Impossible de les manquer, les pancartes fleurissent sur le bord du chemin. Il y a dans ces bois-ci, la possibilité d’acquérir des «projets clef en main». Mais les citoyen.ne.s sont inquiets. La compagnie détient un certificat d’autorisation pour remblayer cinq marais et ils craignent que les travaux ne démarrent à l’automne.

La manifestation longe les terrains de la compagnie Morguard
Marie Sébire

Un peu plus loin sur le parcours, un étang qui a récemment fait les manchettes. Il s’agit de l’étang aux hérons, qui s’est complètement vidé cet été. Pour les citoyen.ne.s, il n’y a aucun doute, le responsable est le REM, et les travaux du tunnel auraient provoqué un affaissement du terrain. La compagnie n’a pas reconnu sa responsabilité, mais s’est offert de réparer les dommages.

Tension dans le champ des monarques

C’est au bout du parcours que se trouve le terrain de toutes les crispations: le champ des monarques, 155 hectares de terres fédérales, louées et gérées par l’Aéroport de Montréal (ADM) et au coeur desquelles devrait s’installer bientôt une usine destinée à produire la matière première de masques chirurgicaux. Projet pour lequel le gouvernement du Canada s’est déjà engagé à investir pas loin de 29 millions de dollars. Problème: la valeur écologique de ce terrain vierge, sur laquelle les promoteurs et les citoyen.ne.s ne s’entendent clairement pas.

Une manifestante demande la protection du papillon monarque
Marie Sébire

«L’étude environnementale sur laquelle se base le projet est complètement bâclée», certifie Benoit Gravel, l’un des porte-parole de Technoparc Oiseaux. Fin août, le regroupement a remis son propre rapport à ADM. «Nous contestons l’affirmation de la description du projet selon laquelle «aucun milieu humide, cours d’eau, espèce ou habitat sensible ou zone protégée n’est présent sur le site», peut-on y lire. Et un peu plus loin: «La plupart des méthodes ne sont pas décrites en détail, et le rapport tire ses conclusions de la base des probabilités d’occurrence douteuses plutôt que d’enquêtes rigoureuses de terrain.»

Les rapports ne s’entendent pas sur l’asclépiade. Elle est qualifiée de plante «considérée comme parfois nuisible» dans l’étude officielle. Le papillon monarque en dépend pour sa survie, d’après Technoparc Oiseaux. On en dénombre quelques plants selon l’étude officielle. Les membres de Technoparc Oiseaux en ont inventoriés 4000.

«La lacune la plus frappante, résume Katherine Collin, c’est l’omission de la notion de connectivité. Ces 215 ha forment une seule et même étendue, dont le tout est plus grand que la somme de ses parties. C’est la non fragmentation de cet espace qui lui donne sa force. Perdre une seule partie de ce secteur fragilise l’ensemble.»

Des espaces déjà minéralisés et disponibles dans le secteur, il y en a, affirment les membres du regroupement, qui pensent que l’usine de masques pourrait tout à fait être construite ailleurs.

Katherine Collin, ornithologue amateure, indique les terrains longés par la manifestation
Marie Sébire

A la tribune, les candidat.es en campagne enchainent les promesses

Une petite tribune a été érigée devant les grilles qui délimitent le champ des monarques. Les candidat.es aux élections du moment s’enchaînent au micro et s’engagent à protéger le terrain. Les un.es proposent d’acheter les terres fédérales, les autres de créer un parc naturel. Les promesses sont plus ou moins réalistes.

Surprise à la fin de la manifestation, puisque sa présence n’était pas confirmée, Emmanuella Lambropoulos, députée libérale de la circonscription Saint-Laurent prend la parole. Elle se dit sensibilisée au problème, mais sa proposition d’envoyer des courriels aux députés fédéraux pour demander la protection de l’espace naturel ne convainc pas vraiment son auditoire.

Interrogé après son intervention, Alexandre Boulerice, candidat du NPD dans Rosemont-la-Petite-Patrie rappelle, en parlant d’ADM, que s’il le faut «c’est possible de briser un bail, tu vas payer une compensation financière on s’entend mais je pense que ça vaut la peine».

La balle au fédéral et au municipal

«Nos interlocuteurs maintenant, c’est le fédéral et le municipal», nous dit Julien Bourdeau, l’un des porte-parole de Technoparc Oiseaux, à la fin de la manifestation. Il fonde peu d’espoir dans des discussions avec les entreprises privées, et le regroupement a été assez refroidi par ses derniers échanges, tendus, avec ADM. «Ce qui est bizarre avec ADM c’est que c’est un organisme sans but lucratif, qui gère des vols, comment ça se fait qu’ils commencent à faire de la promotion immobilière?» s’interroge Benoît Gravel. «Sur des terres qui appartiennent à la population canadienne», ajoute Julien Bourdeau.

Environ 200 manifestant.es ont marché pour demander la protection des 215 hectares d’espaces naturels
Marie Sébire

Le mot de la fin revient à Katherine Collin, qui conclut la manifestation : «on met au défi le gouvernement fédéral de respecter ses engagements publics de protéger l’environnement et d’honorer les droits autochtones plutôt que de fermer les yeux sur des études environnementales défectueuses et incomplètes et de reléguer la prise de décision sur l’avenir de ces espaces à des promoteurs et des intérêts corporatifs souvent contradictoires.»