Des mercenaires partout

Durant l’automne de cette année-là, moi et ma section avons été déployés dans la région de Shah Wali Kot, située à environ 40 kilomètres de Kandahar City pour escorter des ingénieurs qui devaient inspecter le barrage Dala, sur la rivière Arghandab, dans le cadre du plus gros projet de « reconstruction » du Canada via l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Un projet de 50 millions de dollars qui, comme toutes les autres tentatives pour « gagner le cœur et les esprits » du peuple afghan, n’aura jamais abouti.

Arrivés au bout de la route, nous avons installé une position défensive avec nos véhicules et un poste de transmission radio sur le haut d’une petite colline pendant que les ingénieurs, accompagnés d’une escorte armée, se rendaient au barrage, un trajet à pied d’environ un kilomètre sur un petit sentier rocailleux. Je dirais que le risque de tomber sur des mines, improvisées ou non, était moyen, et nos mitrailleuses et canons automatiques de 25 millimètres équipant les tourelles des blindés du convoi couvraient tous les points sensibles, incluant une butte au-delà de laquelle on trouvait une petite route de terre battue. Seul point faible de la position : aucune ligne de vue au-delà de la butte, même depuis le poste de transmission.

Environ une heure après notre arrivée, on entendit des explosions venant de l’autre côté de la butte, accompagnée de grandes levées de poussière qui tourbillonnaient en l’air au contact du vent.

Probablement des tirs d’artillerie, se dit-on, en prenant nos positions de combat. Puis, on entendit aussi des tirs d’armes légères. Clairement, un combat se déroulait à quelques centaines de mètres de notre position, sans que nous sachions de qui il s’agissait. Chose certaine, les tirs d’artillerie suggéraient que le momentum appartenait aux forces d’occupation, quelle que soit leur nationalité. Probablement des Américains, ai-je suggéré, ordonnant à mon canonnier de surveiller un point duquel pourraient surgir des véhicules d’insurgés (talibans ou autres) en fuite. Finalement, rien – j’étais d’un côté soulagé, de l’autre un peu déçu de n’avoir pu vivre un premier « vrai » combat, ce qui finalement n’arriva jamais.

Soudainement, un hélicoptère noir, sans identification, surgit de derrière la butte. Le modèle n’était pas davantage reconnaissable, du moins ce n’était pas un hélicoptère militaire standard, qui me semblait être une version civile – du moins, non-armée – des petits hélicoptères « Little Bird » employés par les forces spéciales américaines.

Finalement, il s’agissait d’un hélicoptère civil qui servait vraisemblablement d’observateur de tir pour identifier des cibles, opéré par une « compagnie militaire privée », terme euphémistique pour désigner les mercenaires qu’on croisait un peu partout dans nos opérations.

C’était mon premier contact avec ces profiteurs de guerre omniprésents sur les champs de bataille de la soi-disant « guerre au terrorisme ».

Puis, tout au long de mon déploiement, j’ai croisé davantage de ces mercenaires.

Un « socialisme » à l’américaine : redistribuer aux riches

Sur les 2 000 milliards de dollars dépensés en Afghanistan par l’occupant américain, environ 370 milliards furent donnés en contrats militaires privés seulement en 2019, comparativement à 140 milliards en 2001, selon Legion Magazine, une revue spécialisée dans les affaires militaires. Selon un article du Business Insider publié en août 2017, on comptait davantage de ces mercenaires que de troupes à partir de 2011, en date de parution de l’article. Entre 2001 et aujourd’hui, la seule action du géant Lockheed Martin, probablement la plus grande fabrique d’engins de mort de la planète, est passée de 25 dollars US la veille des attentats du 11 septembre 2001 à près de 400 dollars US en juillet 2021, avec un pic de 425 dollars atteint en février 2020. En 2019, la compagnie a engrangé 8 milliards de profits directement dérivés de leurs contrats militaires, alors que l’ensemble des marchands de mort s’est mis 100 milliards de dollars directement dans les poches!

Le complexe militaro-industriel arrive également à marauder les meilleurs talents scientifiques, techniques ainsi que les soldats d’élite grâce à des salaires mirobolants.

En 2017, un contracteur privé pouvait empocher jusqu’à 22 000 dollars US par mois. Le salaire moyen d’un soldat canadien, incluant les primes de risque et de déploiement? Environ 9 000 dollars canadiens. Puis le Canada n’est pas en reste! Même si son industrie de guerre n’est pas aussi tentaculaire que celle qui empoisonne l’économie américaine, elle s’est néanmoins développée. Pour seul exemple, Gardaworld est passée d’une entreprise canadienne offrant des services de sécurité privée de base à une véritable multinationale qui déploie des mercenaires en Afghanistan et en Irak, notamment, avec suffisamment de contrats dans les zones de guerre orientales pour établir ses bureaux à Dubaï! D’ailleurs, à ce jour, je reçois constamment des mises à jour de Garda World, via courriel, proposant des contrats de sécurité privée en Irak.

Facile de constater, même après n’avoir qu’effleuré la surface, que cette guerre fut d’abord et avant tout un programme de redistribution de deniers publics au secteur privé.

Un « socialisme » à l’américaine, alors que des millions de leurs citoyennes et citoyens pataugent dans la misère, ne possèdent aucune couverture médicale et continuent d’être les victimes d’un système d’éducation en lambeaux.

À quand des inculpations pour crimes contre l’Humanité à ces barons des armes et de destruction?