« Ça va », me répondit-il. « Je suis actuellement à Kaboul ». Il me montre le message de confirmation qui indique qu’il est en attente d’un visa pour le Canada.
Rassuré, je lui donne mes coordonnées WhatsApp et lui assure que nous sommes nombreux à travailler pour que leurs noms se trouvent bien sur les listes du gouvernement.
Ce fut un sentiment de courte durée. À peine 48 heures plus tard, il m’envoie un appel à l’aide sur WhatsApp. « La situation empire, ils arrivent! » Sur la vidéo qu’il joint à son message, captée au milieu de la capitale, on entend l’écho des coups de feu que seules les discussions ambiantes arrivent à atténuer tant l’inquiétude est palpable et transcende la barrière langagière.
Appels à l’aide
Depuis une semaine, les images tournent en boucle dans les médias. Des milliers d’Afghans, hommes, femmes, enfants qui ont fui leurs maisons, regroupés dans des camps improvisés avec ce qu’ils auront pu amener avec eux à Kaboul. Au-dessus de leurs têtes, des hélicoptères volent en va-et-vient, occupés à évacuer le personnel des ambassades occidentales. À l’aéroport international Hamid-Karzai – nommé en l’honneur du pantin qui a pris les rênes de l’Afghanistan, infiltré par une équipe de forces spéciales américaines – des milliers d’Afghans s’accrochent désespérément aux derniers avions qui quittent le pays, même les gros cargos militaires.
Tout ça se déroule dans une cacophonie à-travers laquelle on entend sporadiquement des rafales de mitrailleuses et des explosions, d’abord au loin, puis se rapprochant de la scène. Des véhicules de l’armée afghane roulent à tombeau ouvert vers ce qui semble être une destination à contre-azimut du lieu des combats.
Je regarde notamment les vidéos de Fawzia Koofi, que j’ai rencontrée en 2013 et dont j’avais fait un portrait pour le magazine Châtelaine. Sa province natale de Badakhshan fut une des premières à tomber sous le contrôle des Talibans et inutile de dire qu’en tant que parlementaire – elle siège à la Loya Jirga depuis 2005 – elle sera une cible de choix pour les Talibans, qui chercheraient à faire de son supplice une vaste opération de propagande.
Même chose pour Ahmad Massoud, le jeune fils du mythique combattant assassiné le 9 septembre 2001. Figure charismatique qui pourrait devenir un leader, même symbolique, d’une éventuelle résistance contre les Talibans, ces derniers ne manqueront certainement pas de le traquer!
Où est notre sens moral?
L’Empire occidental quitte donc l’Afghanistan après l’avoir saccagée et trahi son peuple.
Rarement ai-je eu autant de mal à rédiger une chronique, peu importe le sujet. Mais j’ai souvent répété au cours des dernières années que je crois avoir développé ce que je définis comme une relation symbiotique à sens unique avec l’Afghanistan et son peuple.
Notre devoir moral, maintenant, sera de les aider, et maintenant! Après, nous devrons nous opposer massivement aux futures interventions impérialistes qui font déjà des ravages en Haïti, en Amérique latine et dans de nombreux pays d’Afrique.
Mais une question demeure : avons-nous toujours un sens moral?
Au moment de conclure, Ali me contacte à nouveau. « S’il-vous-plait, je suis en danger! »
J’ai envoyé ses coordonnées à qui il fallait. Le reste n’est malheureusement plus entre mes mains.
Mais juste au cas, je vais aller préparer la chambre d’amis.