Il n’a pas mis beaucoup de temps à apprendre le français. Situation: il travaille en informatique, donc son métier s’est très facilement «importé», il parle une langue romane – donc assez proche du français –, il a étudié le latin durant tout son secondaire et s’en souvient parfaitement, il a un don pour les langues et, finalement, sa partenaire est linguiste, spécialisée en histoire de la langue – ce qui rend possible l’explication des changements du latin vers le français –, et elle enseigne le français langue seconde (à l’époque). Il était, en quelque sorte, l’étudiant idéal, et moi la prof idéale pour lui. Tout ça pour dire que notre couple a été extrêmement privilégié. Nous en sommes très conscients.
Cette situation de privilège est évidemment une énorme exception quand on pense aux autres personnes immigrantes. Elles doivent, bien souvent, travailler dans un domaine qui n’est pas le leur, car les équivalences sont difficiles à avoir, et ce, tout en apprenant le français. Pour certaines personnes (les gens qui sont réfugiés, par exemple), les cours de francisation sont le premier contact avec le français. Ces cours de francisations sous-financés, très souvent mal adaptés et qui utilisent du matériel de France.
J’ai énormément d’admiration pour ces gens. Je me souviens, dans un des cours que je donnais à l’École de langue de l’Université Laval, une étudiante avait demandé une permission spéciale pour arriver 15 minutes après le début des cours, car elle devait aller reconduire sa fille à la garderie. Elle travaillait le soir dans un hôtel, comme femme de chambre. Elle étudiait le français le jour. Elle avait été pharmacienne dans son pays d’origine, mais elle ne pouvait pas pratiquer, donc elle comptait aller au Cégep et devenir infirmière. Sans surprise, elle était l’une de mes meilleures étudiantes.
Évidemment, à la maison, avec sa famille, elle parlait sa langue maternelle.
Évidemment, les gens qui arrivent ici et qui réussissent à apprendre le français et à s’installer parlent leur langue maternelle dans leur cercle familial. Tout le monde ferait ça. C’est leur langue quotidienne. Ce n’est pas compliqué : la langue parlée à la maison par les personnes immigrantes de première génération est leur langue maternelle. Ce sera très probablement différent pour la deuxième génération, car les enfants auront eu une scolarisation en français.
Mais il semblerait que, pour les démographes qui font et analysent les statistiques concernant la survie du français, le fait que sa «langue parlée à la maison» soit autre chose que le français met la langue nationale en danger. Il semblerait qu’on utilise cette statistique pour démontrer le fait que le français au Québec est en déclin. Et cela me trouble profondément.
D’une part, la langue familiale des gens ne concerne personne (surtout pas de l’État!). Des extra-geeks pourraient décider de parler klingon ou elfique à la maison, personne ne pourrait dire quoi que ce soit. D’autre part, le fait d’utiliser cette statistique pour mesurer la situation du français dit aux personnes immigrantes que leur langue met le français en danger. Ces personnes immigrantes qui rushent à apprendre le français. Ces personnes immigrantes qui tentent de s’intégrer, tout en conservant un tant soit peu de leur origine, de leur identité.
De plus, cette statistique ne rend pas compte de la réalité, car comme je l’ai dit, les enfants des personnes immigrantes auront appris le français à l’école, et auront intégré la société. Donc il suffit d’une génération (parfois deux), pour que la langue maternelle des parents disparaisse au profit du français. Ce qu’il faut faire, si on tient à ce que l’immigration ne nuise pas au français, c’est de s’assurer que les enfants allophones fréquentent l’école francophone. Ce qui est déjà le cas.
Il y a d’autres choses qui mettent le français en danger. Le fait, par exemple, qu’on tape sans cesse sur la tête des jeunes en leur disant que leur langue est mauvaise. Ces jeunes pourraient très bien choisir l’anglais.
À la personne immigrante, donc, qui passe à travers tout le processus d’intégration à la vie québécoise, je dis : parle ta langue. C’est ton identité. Le reste suivra.