Il pourrait s’agir d’une photo embarrassante ou d’un article publié il y a plusieurs années qui rapporte une arrestation pour un délit. Immortalisées sur Internet, ces informations font surface lorsqu’on effectue une recherche du nom de la personne impliquée. Le droit à l’oubli permettrait à cette personne de demander aux entreprises comme Google de retirer les hyperliens qui permettent d’y accéder lorsqu’on effectue une recherche du nom de la personne.
Les résultats de recherche sont une activité commerciale
La décision de la cour fédérale découle d’une plainte déposée au Commissariat à la vie privée du Canada. Dans cette plainte, une personne tentait de faire retirer des hyperliens vers du contenu jugé erroné lorsqu’on effectuait une recherche de son nom. L’individu, qu’il est interdit de nommer, a subi des préjudices et même une agression physique à cause de ces résultats de recherche.
Le commissaire à la vie privée, Daniel Therrien, a demandé l’avis de la Cour fédérale dans cette situation. Alexandre Plourde, avocat pour Option Consommateurs, explique qu’il s’agissait de savoir si «quand je rentre mon nom dans Google, est-ce que l’entreprise diffuse des renseignements personnels en indexant et retournant des liens». L’objectif était de savoir si la «loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques» (LPRPDE) s’applique aux moteurs de recherche.
«La loi fédérale s’applique quand une organisation recueille, utilise ou communique des renseignements personnels à des fins commerciales» explique Me Plourde. La juge Jocelyne Gagné a donc rendu des décisions sur deux questions. La première stipule que Google exerce une activité commerciale lorsqu’elle retourne des résultats de recherche. La deuxième est que cette activité commerciale ne tombe pas sous l’exemption accordée aux journalistes et organismes de presse.
Pour l’avocat d’Option Consommateurs, cette décision ouvre la porte à un droit à l’oubli, car on pourra invoquer des obligations prévues par la Loi quant aux résultats de recherche. La LPRPDE prévoit que «les renseignements doivent être exacts, à jour, ne doivent pas être périmés», ajoute-t-il.
Pour l’instant, ce droit à l’oubli n’est pas balisé par une Loi au niveau fédéral. Le projet de Loi C-11, qui a pour but de réglementer l’usage des renseignements personnels, n’en fait pas mention.
Un droit à l’oubli balisé au Québec
Avec l’adoption du PL64, la situation sera différente au Québec. Le projet de Loi introduit deux circonstances où l’on pourra invoquer le droit à l’oubli. Premièrement, il sera possible d’en faire la demande si un renseignement contrevient à la loi ou fait l’objet d’une ordonnance judiciaire. Deuxièmement, lorsqu’un renseignement porte «un préjudice grave» au respect de sa réputation ou de sa vie privée.
Alexandre Plourde, avocat pour Option Consommateurs, se réjouit de voir ce nouveau droit introduit dans la loi québécoise. Pour lui, c’est «une forme de pardon numérique» qui va «permettre aux gens de refaire leur vie». Il me dit avoir reçu plusieurs appels à l’aide au fil du temps. «Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de solution pour ces gens.» Pour lui, même si l’information est véridique, il faut prendre en compte le passage du temps. «Cette personne a eu un pardon. Elle est dans l’impossibilité de se trouver un emploi, elle a de la misère dans ses relations interpersonnelles. À peu près tout le monde que tu vas rencontrer dans ta vie va taper ton nom sur Google à un moment donné.»
La loi prévoit plusieurs critères à prendre en compte afin de s’assurer que le préjudice subi est supérieur au droit du public de connaître cette information. Est-ce que la personne visée est une personnalité publique? La personne était-elle mineure? Le délai écoulé, la sensibilité du renseignement et le fait d’avoir eu un pardon sont tous des facteurs qui devront être considérés.
Droit à l’information versus droit à l’oubli
Dans un mémoire rédigé sur le projet de loi 64, Mes Éloïse Gratton et Elisa Henry, associées chez Borden Ladner Gervais, écrivent que bien que l’objectif soit louable, «il ne devrait pas nécessairement se faire au détriment d’autres droits et libertés fondamentaux (…), à savoir la liberté d’expression des individus et le droit du public à l’information».
Les autrices trouvent déconcertant le fait d’exiger que des entreprises privées «déterminent ce qui est dans l’intérêt public, et ce, avec peu de contrôle des autorités gouvernementales ou des tribunaux (…)». Elles s’inquiètent que, devant la complexité de la tâche d’évaluation, les entreprises «par excès de prudence [choisiront] de désindexer les renseignements, malgré la valeur potentielle de ces derniers pour la société.»
Pour le groupe d’experts sur la protection des données personnelles du Barreau du Québec, c’est aux tribunaux de déterminer si un renseignement porte une atteinte à la réputation. Dans son mémoire, il stipule que «le seul fait qu’une personne se sente inconfortable en raison de la disponibilité d’une information» qui circule légalement dans l’espace public ne devrait pas justifier qu’on la supprime.
Le juriste d’Option Consommateurs constate «un décalage entre le pouvoir des corporations de censurer le Web et à quel point on refuse tout pouvoir à des individus de bloquer du contenu qui leur porte préjudice». Me Plourde considère qu’un droit à l’oubli bien balisé redonne un peu de pouvoir aux individus face aux plateformes du Web. Les entreprises qui «ont beaucoup d’argent réussissent à faire valoir leurs droits économiques sur Internet. Elles réussissent à censurer Internet, réussissent à bloquer du contenu avec une grande efficacité.»
Le PL 64 était arrivé à l’étape de l’étude article par article. Au mois de juin dernier, le ministre Éric Caire a annoncé l’arrêt des procédures. La récente décision de la Cour fédérale n’est certainement pas la fin de l’histoire, car il est possible que Google porte la décision en appel.