Tranquillement de nouvelles générations de leaders noir-e-s investissent des efforts pour créer des ponts de dialogue entre communautés noires, que ce soit entre continentaux, caribéens, haïtiens, noirs anglophones et noirs francophones. Les communautés noires sont divisées par leurs histoires, leurs trajectoires, leurs emplacements géographiques sur le territoire canadien, les dynamiques de classe et diverses croyances, toutefois, elles constatent qu’elles font face, dans des contextes données, à plusieurs défis similaires.

L’invitation

Ainsi, le chercheur historique Rito Joseph, nous invite à célébrer le Jour de l’émancipation le 1er août avec des spectacles au Théâtre Corona suivi d’un rassemblement à la Place D’Youville dans le Vieux-Montréal, là où l’abolition de l’esclavage a eu lieu en 1834. L’activité permettra, entre autres, de sillonner les rues et rendre hommage aux ancêtres disparu-e-s qui ont vécu au Canada sans reconnaissance de leur humanité, comme le dit Rito, dans les livres d’histoire. L’événement est coordonné par le producteur et animateur Kevin Calixte, en partenariat avec Tiffany Callender et l’Association de la Communauté Noire De Côte-des-Neiges ainsi que le festival Pop Montréal.

Totalement invisible

En 2017, je faisais une série de demandes d’accès à l’information au Ministère de la santé et des services sociaux du Québec, au Bureau du coroner du Québec, à l’Institut de la statistique du Québec afin de savoir si nos systèmes avaient des données sur les victimes de détresse psychologique par race.

Je voulais savoir si le système nous voyait, même au moment où il était trop tard. J’ai vu que non.

Voici un peu comment j’articulais ma demande d’accès à l’information.

La présente a pour but de faire une demande d’accès à l’information au Ministère de la Santé afin de savoir:

  • combien de jeunes hommes noirs perdent ou tentent de s’enlever la vie par suicide, dans la région de Montréal, au Québec et au Canada, en moyenne? Cette année? Dans les 5 dernières années.

  • s’il existe un recensement, par groupe ethnique, du nombre de cas de tentatives de suicide au Québec et/ou au Canada.

  • avoir le groupe d’âges le plus à risque.

  • connaître les recommandations du Ministère de la Santé en lien avec l’enjeu de détresse psychologique chez les personnes racisées.

  • à quel organisme faut-il se tourner pour avoir davantage de données à ce niveau.

  • avoir les données sur les méthodes prises, en lien avec les questions ci-haut.

  • connaître les causes répertoriées avec les tentatives et cas de suicides chez les communautés racisées.

  • avoir les données aussi pour les femmes noires et les groupes racisées.

  • connaître le nombre de signalement par année fait à la police, à Info-Santé et tout autre structures œuvrant en prévention.

Chacune des entités ont répondu en disant ne pas avoir de telles informations.

Le Ministère de la Santé a répondu que le groupe d’âge le plus à risque se compose d’hommes âgés de 45 à 64 ans (tous groupes ethniques confondus. Il a également déclaré : « Nous ne pouvons pas obtenir les données demandées par groupe ethnique. » L’Institut de la statistique du Québec a indiqué qu’il ne disposait pas de données sur la détresse psychologique liée à la nationalité.

Le 5 mai 2017, le bureau du coroner m’a informé qu’il ne détenait aucun document indiquant le nombre de jeunes hommes noirs qui ont perdu la vie par suicide. Il disait: « Les documents que vous demandez sont inexistants. » Près de quatre ans plus tard, je doute qu’il y ait eu actualisation des mécanismes permettant d’avoir des réponses à ces questions.

Nous sommes invisibles, pendant et après notre existence. Nous ne sommes visibles que lorsque nous sommes obstacles, objets ou au service de l’agenda dominant. Ailleurs, une constante semble se dégager. Quand il y a de fortes représentations politiques ancrées dans les collectivités mobilisés, il y a une accélération de la reconnaissance des enjeux…

Emancipation Day: Fruit d’une longue démarche

Rosemary Sadlier OOnt (Ordre de l’Ontario), qui a obtenue la proclamation/déclaration officielle annuelle de février en tant que Mois de l’histoire des Noirs à tous les niveaux de gouvernement et a fait de même pour le 1er août en tant que jour de l’émancipation, dossier sur lequel elle dit avoir amorcé depuis 1995. Elle a été en mesure d’obtenir une reconnaissance unanime du projet au niveau provincial, en Ontario, en 2008, malgré le fait qu’ en 1999 et en 2000, le projet s’était rendu en deuxième révision au niveau national, mais sans succès. Par la suite, elle a présenté le concept de la journée d’Émancipation à la Sénatrice Wanda Thomas Bernard, qui a commencé à y travailler en 2017.

Elle n’a pas démarché pour que chaque province reconnaisse la Journée de l’Émancipation. «J’ai persisté à ce que la reconnaissance soit fédérale pour qu’au moins, chaque province y accorde, au moins, une pensée/action. Aller directement au palier de pouvoir supérieur, en fait.»

(Et c’est ce que beaucoup d’entre nous sont contraints de faire afin de respirer.)

J’ose croire qu’avec les prises de conscience résultant de la pandémie et de la normalisation des discussions mondiales sur le racisme systémique, le Québec, province ou vit plus du quart des personnes noires au pays, portera une oreille distincte aux raisons légitimes de cette commémoration. Toutefois, si le Québec persiste et signe son désintérêt, cette journée existe.

En 2018, Wanda Thomas Bernard, première Afro-Néo-Écossaise à siéger au Sénat du Canada, proposait déjà une motion visant à reconnaître la journée de l’émancipation, à l’échelle nationale. La démarche n’avait pas abouti, mais Madame Bernard, déterminée, n’a pas cessé de plaider, avec une détermination qui détonne de l’image projetée du Sénat, pour que le projet de reconnaissance se concrétise. Le flambeau a ensuite été repris par le député ontarien Majid Jowhari. Il aura fallu une pandémie, la mort médiatisée d’un afro-américain, l’entêtement de la part des membres de la société civile et organisations noires, le soutien du député de Hull–Aylmer, des membres du Caucus des parlementaires noirs, tous partis confondus, la contribution d’intervenants communautaires comme Rosemary Sadlier de la Royal Commonwealth Society, l’Ontario Black History Society et l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux pour que le 1er août soit désigné par la Chambre comme jour d’émancipation au Canada et, d’autre part, que la Chambre reconnaisse l’abolition de la traite transatlantique des esclaves le 1er août 1834

Madame Bernard disait : « Je propose que le Jour de l’émancipation soit reconnu au niveau fédéral, car c’est une étape nécessaire pour guérir du traumatisme historique souffert par les Afro-Canadiens. Notre histoire a sans cesse été effacée. Les Africains réduits à l’esclavage ont été privés de leur nom afin de supprimer leur identité. Après l’émancipation, notre histoire a continué d’être effacée par la ségrégation, les meurtres et la marginalisation systémique. »

Son plaidoyer décomplexé provient de sa connaissance du fait qu’en 1783, quelque 3 000 personnes de descendance africaines se sont établies en Nouvelle-Écosse, à Birchtown. Ces anciens esclaves faisaient partie de ses cohortes ayant acquis leur liberté en rejoignant l’armée britannique. À une certaine époque, on retrouvait à Birchtown la plus grande communauté de Noirs libres à l’extérieur de l’Afrique. Le tout est d’ailleurs merveilleusement décrit dans l’oeuvre de Lawrence Hill The Book of Negroes. Il reste qu’à l’époque, on pouvait être libre au Canada, mais encore opprimé même jusqu’à la mort, en étant enterré, par exemple, dans un cimetière non identifié à l’extérieur des limites de la communauté.

Suite à la défaite inévitable des troupes lors de la guerre d’indépendance américaine, certains arrivent dans ce qui est devenu le Canada, notamment au Haut‑Canada et au Bas‑Canada (qui comprend le Québec) et sur les terres de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick contemporains où ils subissent l’hostilité de la population, la ségrégation raciale et diverses discriminations, ainsi que des emplois sous-payés.

Selon Statistique Canada, la Nouvelle-Écosse compte la plus grande population noire des provinces de l’Atlantique et la cinquième population noire en importance au pays. L’Ontario compte la population noire la plus nombreuse au Canada et le Québec présente la deuxième population noire en importance, avec 26,6 % de la population noire totale du Canada, tout est à faire beaucoup reste à faire pour reconnaître et respecter sa présence. Reste que la Nouvelle-Écosse a un ministre des Affaires afro-néo-écossaises et reconnaît le rôle fondateur de la culture afro-néo-écossaise. La province a aussi des sénatrices actives sur les questions de reconnaissance des réalités des peuples noirs et a depuis peu, un Institut pour l’étude de l’esclavage canadien qui sera établi à la Nova Scotia School of Art and Design (NSCAD) à Halifax.

Peut-être qu’il y a lieu d’aller plus loin, au Québec, dans l’institutionnalisation des conditions favorables à l’émancipation des communautés noires, que la nomination d’un ministre (sans ministère) contre la lutte au racisme, ce dernier peinant à réagir convenablement contre le racisme anti-noir-e, anti-autochtones, anti-arabes, anti-asiatique, anti-indien, mais se vantant d’être plus haïtien que sa conjointe haïtienne

Déjà, plusieurs influenceuses et influenceurs noir-e-s s’activent sur les médias sociaux pour faire le travail de veille que l’écosystème médiatique mainstream ne fait pas.

En vue du 1er août 2021, tout comme l’été dernier, si le contexte le permet, peut-être que plus de voix se joindront aux efforts des groupes des communautés noires qui feront ce que doit dans l’espoir que les paliers politiques et institutions seront aussi à l’écoute du désir d’émancipation de ces dernières et non pas dans une logique de confinement de leurs doléances.