Les PFAS sont une famille de produits chimiques inventés durant la Deuxième Guerre mondiale pour servir de revêtement anticorrosion pour les chars d’assaut américains. Prisés par l’industrie pour leurs propriétés anti-tâche et antiadhésive, ils ont fait leur entrée dans nos cuisines sous l’appellation Teflon, commercialisée par la compagnie américaine Dupont. Nous les retrouvons aujourd’hui dans la peinture, les emballages alimentaires ou encore les articles de plein air. Mais depuis, les recherches ont démontré qu’ils sont associés à de nombreux problèmes de santé: cancers, dérèglements de l’appareil endocrinien et de l’appareil reproducteur. Selon le toxicologue associé à L’INRS Mathieu Valke, «les PFAS sont des substances que l’on retrouve beaucoup et de plus en plus parce qu’elles sont persistantes». Ces produits contaminent maintenant le sang de plus de 98 % des Américains et des Canadiens.
L’encadrement du PFOA et du PFOS, trop peu, trop tard
L’encadrement canadien des PFAS est le produit d’un processus réglementaire ayant débuté en 2006 et qui n’est toujours pas achevé. Dans sa forme actuelle, la réglementation comporte toujours plusieurs lacunes. D’abord, elle ne couvre pas les produits manufacturés importés. Or, selon Tim Gray, directeur général du groupe de pression canadien Environmental Defense « puisque la production manufacturière a été déplacée en dehors de l’Amérique du Nord, nous continuons d’être exposés à travers les produits que nous importons. »
Prévue pour l’automne 2021, la modification au règlement sur les substances toxiques devrait établir un échéancier pour éliminer cette exception. Un pas dans la bonne direction, mais qui risque de n’avoir qu’un effet limité puisque les services frontaliers n’ont pas les moyens de déterminer la composition chimique d’un produit fini, selon Tim Gray.
Une fois la modification adoptée, il restera une autre lacune de taille : la réglementation ne couvre pas l’ensemble des PFAS. Elle couvre seulement le PFOA et le PFOS, les deux PFAS les plus utilisés au XXe siècle, ainsi que les PFAS dits à longue chaîne. Or depuis le début des années 2000, de nouvelles molécules de la famille des PFOA sont venues remplacer dans les procédés industriels celles qui sont régulées.
Des produits de remplacement dangereux
Les PFAS tirent leur extrême résistance d’une chaîne d’atomes de carbone entremêlée d’atomes de fluor. Le PFOA et le PFOS comptent 8 atomes de carbone dans leur chaîne. Et selon l’American Chemical Council, un lobby représentant les principaux producteurs de PFAS nord-américains, cela signifie que les PFAS qui comptent moins de 8 atomes de carbone dans leur chaîne sont moins dommageables pour la santé et l’environnement.
Cette idée a été reprise par Santé et Environnement Canada dans une vaste étude visant à faire le point sur la situation des PFAS au Canada et à évaluer le risque qu’ils posent pour la santé et l’environnement. On y cite l’agence danoise de protection de l’environnement qui aurait jugé que les PFAS à courte chaîne étaient une solution viable pour remplacer les PFOA et PFOS. Mais voilà que trois ans plus tard, celle-ci s’est ravisée et propose maintenant un tout autre regard sur la situation :
« La forte présence de PFAS à courte chaîne, en particulier de PFBA [à quatre atomes de carbone], dans les tissus humains, y compris le cerveau des personnes décédées, est préoccupante et montre que les PFAS à courte chaîne […] peuvent être beaucoup plus bioaccumulables chez l’homme que ce que les études menées sur des animaux de laboratoire concluent. »
Entre-temps, les PFAS à courte chaîne continuent d’être utilisés par l’industrie malgré l’opposition de la communauté scientifique. En 2012, plus de 250 chercheurs émanant de 38 pays ont produit une déclaration commune où ils dénoncent cette stratégie de remplacement favorisée par plusieurs pays occidentaux, dont le Canada.
Des risques multipliés et impossibles à légiférer
La multiplication des PFAS utilisés par l’industrie complique l’évaluation des risques pour la santé, selon Mélanie Lemire, épidémiologiste associée à l’INRS. « C’est extrêmement difficile à étudier au niveau statistique parce que toutes ces molécules sont hautement corrélées. », précise-t-elle. Mathieu Valke abonde dans le même sens. « Souvent, les substances de la même famille chimique ont des effets toxicologiques similaires, » nous apprend le toxicologue.
Selon lui, puisqu’ils ont tendance à s’attaquer aux mêmes parties de notre organisme, leurs effets peuvent s’additionner, s’amplifier, se combiner pour créer de nouveaux effets ou encore agir indépendamment les uns des autres: « Dans la réalité, le nombre de combinaisons possibles en termes de séquence et d’ampleur est à peu près infini.»
Une piste de solution, partiellement adoptée par les États-Unis et l’Union européenne, serait de traiter les PFAS comme une classe et de généraliser la législation à l’ensemble de la famille.Les ministères de la Santé et de l’Environnement du Canada ont récemment publié un avis d’intention annonçant le début d’une réflexion en ce sens. Ils y reconnaissent «qu’en raison du grand nombre de PFAS disponibles […] la démarche habituelle d’évaluation et de gestion, substance par substance, est impraticable». Les conclusions de cette réflexion devraient être déposées en 2023.
Modernisation possible de la LPE?
Les ratés dans l’encadrement des PFAS viennent en grande partie des lacunes de la Loi sur la protection de l’environnement (LPE) puisqu’elle donne les barèmes de ce que le gouvernement peut et doit faire en matière de gestion des substances toxiques. « Cette loi est vieille et elle a été écrite à une époque où l’on croyait fermement que l’industrie allait naturellement faire ce qui est bon pour le public, » selon Tim Gray. Un problème reconnu par le ministère de l’Environnement et des Changements climatiques qui a déposé en avril dernier le projet de loi C-28 qui vise justement à moderniser le cadre législatif canadien sur la gestion de produits dangereux.
À première vue, les modifications prévues à la loi semblent prometteuses pour la prise en charge des PFAS. Parmi les modifications proposées, nous y retrouvons la reconnaissance du droit à un environnement sain, l’obligation de protéger les populations vulnérables, l’affichage obligatoire pour certains produits et de nouveaux critères permettant de plus facilement catégoriser les produits chimiques comme étant dangereux. « Nous aurions voulu que le gouvernement adopte une approche plus moderne et plus robuste d’un point de vue scientifique, mais puisque c’est la première tentative d’améliorer la loi depuis que Jean-Chrétien était premier ministre et que les Backstreet Boys étaient au top des palmarès, nous nous devons de saluer l’effort,» nuance Tim Gray. Aussi, la loi actuelle ne prévoit pas de moyens pour contraindre les compagnies récalcitrantes à s’y conformer. Un problème qui reste ignoré par le projet de loi C-28.
S’il est d’avis que les changements législatifs auront finalement peu d’impacts sur l’exposition des écosystèmes et de la population canadienne aux PFAS, le directeur général d’Environmental Defense reconnaît tout de même que les législations proposées représentent un petit pas dans la bonne direction si elles sont adoptées. L’éventuel déclenchement d’une élection fédérale cet automne ne devrait pas empêcher la proposition de changement au règlement sur les PFAS de voir le jour. Elle risque cependant de reléguer au feuilleton la refonte de la LPE.