Si les politiques de revitalisation urbaine provoquent la gentrification, c’est parce que le marché oriente largement le développement. « La revitalisation est influencée par le privé, constate Leïla Ghaffari, agente de recherche au Collectif de recherche sur les innovations économiques, sociales et territoriales (CRIEST), à l’UQAM et qui a consacré sa thèse aux effets de la gentrification. « On ne peut pas ignorer l’importance de cet investissement: les investissements publics ont diminué, dans les logements sociaux et les logements en général, et la plupart des municipalités dépendent des revenus fonciers et ont intérêt à voir arriver une population plus fortunée. »
Dans ce contexte, Leïla Ghaffari doute que l’on puisse vraiment empêcher la gentrification. En revanche, on doit pouvoir la contrôler. Et notamment sa conséquence la plus visible, celle dont on parle le plus, le départ physique des populations les plus fragiles économiquement.
Orienter l’investissement privé
« Le nerf de la guerre, c’est de s’assurer que l’offre locative se maintienne pour les locataires qui ne peuvent pas suivre les évolutions du marché», estime Emanuel Guay, doctorant en sociologie à l’UQAM et chercheur associé au Comité d’action de Parc-Extension (CAPE).
La construction de logements sociaux neufs, l’achat et la conversion de logements existants en logement social, le contrôle des loyers, le contrôle de la spéculation immobilière par la taxation… Les outils existent. A travers le monde, il en existe même toute une palette. A Montréal, on a un temps utilisé le zonage comme levier de négociation avec les promoteurs. «Quand un promoteur immobilier voulait construire un bâtiment dans une zone qui limitait le nombre d’étages permis, il fallait s’asseoir avec la municipalité, qui négociait souvent l’inclusion de logement social», explique Leïla Ghaffari. L’adoption en avril 2021 du règlement pour une métropole mixte a encore changé la donne. Plus besoin de négocier: dorénavant, les projets résidentiels de plus de 450 m² sont tenus de conclure une entente avec la Ville afin de contribuer à l’offre de logements sociaux.
Victoire pour le logement abordable? «C’est une étape importante, concède Emanuel Guay, mais qui reste très arrimée au marché des promoteurs immobiliers privés. Ce n’est pas encore suffisant.» Il ajoute que dans la lutte pour le logement social, «on se rend compte en ce moment des limites de se concentrer au palier municipal. On a un gouvernement provincial qui n’a pas adopté dans son dernier budget un nombre d’unités Accèslogis suffisant pour répondre aux besoins.»
Soyons clair donc: les outils existent, mais encore faut-il vouloir les utiliser. Le vrai levier d’action, c’est la volonté politique.
Le droit au quartier contre la marginalisation
Le déplacement des populations fragiles n’est pas le seul effet négatif de la gentrification. Il y en a d’autres, moins visibles, et qui ceux-là touchent ceux qui restent. C’est la désappropriation et la marginalisation. «La désappropriation, nous explique Leïla Ghaffari, c’est quand les repères identitaires des gens sont modifiés voire disparaissent. Les habitants de longue date du quartier ne s’y reconnaissent tout simplement plus.» Elle cite la biscuiterie Viau dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, convertie en condos de luxe, et la promenade Ontario, sur laquelle de nombreux services de proximité ont disparu. «Si on veut éviter la désappropriation, il faut identifier les repères et les maintenir dans le temps.»
«La marginalisation, c’est quand la nouvelle population arrive avec un capital politique plus élevé. Elle oriente alors la prise de décision et les services disponibles.»
Pour contrer ces effets négatifs, la chercheure oppose le «droit au quartier». «C’est le droit de participer à la transformation de l’espace et de contrôler les investissements. Il faut de la vraie participation citoyenne», insiste la chercheure. Pas juste de la consultation donc.
Des outils pour négocier
Si la population doit être incluse dans le processus décisionnel, encore faut-il que le cadre dans lequel elle s’exprime soit suffisamment bien fichu pour avoir un vrai impact.
Leila Ghaffari s’est intéressée au Community Benefits Agreement, outil utilisé dans certaines villes américaines et dont on aurait tout intérêt à s’inspirer. « C’est une entente entre les promoteurs, la population, et la municipalité. » Elle vise à rééquilibrer les forces puisque dans certains cas, elle a été imposée aux promoteurs. «On leur a dit: si vous voulez le permis de construire, il faut vous entendre avec la communauté!», relate Leïla Ghaffari. Logements sociaux, emplois locaux, ou encore amélioration des espaces urbains, sont autant d’éléments à mettre en négociation.
La première entente du genre a été négociée en 1998 à Los Angeles pour le projet de Highland Center, un complexe commercial. « En échange du soutien de la communauté, le promoteur a offert, entre autres, de financer l’amélioration du transport et de veiller à ce que les travailleurs du centre reçoivent un salaire minimum. En retour, par le soutien de la communauté, le promoteur a obtenu 90 millions de dollars de subsides par la ville.»