En réalité, personne n’a brûlé de livres et Richard Martineau fait une fois de plus de l’enfumage sans feu. Deux vitrines brisées, voilà l’histoire. Mais c’est incompréhensible pour cette librairie qui n’a qu’« un biais conservateur », s’insurge le chroniqueur. Quelle charmante manière de dire les choses, quel enfumage!
Beaucoup plus précis, le HuffingtonPost rapporte que cette librairie est « spécialisée dans la littérature d’extrême droite ». Pour le magazine L’Express, campé à droite, il s’agit tout simplement d’une librairie d’« extrême droite ». Avis partagé par Charlie Hebdo, que Richard Martineau a si souvent défendu, qui la classe même dans la catégorie des « fachothèques ».
La presse française précise aussi que ce doux commerce est logé à la même adresse que la « Nouvelle librairie nationale », tenue au début du XXe siècle par des royalistes d’extrême droite de l’Action française. Dans les années 1920, elle passe aux mains du fondateur du Faisceau (inspiré du fascisme italien) aujourd’hui présenté comme « le saint patron de la Nouvelle Librairie »! Le nom et l’adresse de la « Nouvelle librairie » sont donc des signes conscients d’une filiation nauséabonde.
Sans doute trop absorbé à « faire le plein de bouquins », notre chroniqueur québécois ne semble pas avoir noté le décor. Son collègue de L’Express, plus attentif, a vu un buste de Jeanne D’Arc, icône de l’extrême droite française, et une tête de sanglier accrochée au mur, emblème du groupe Les Identitaires, évidemment d’extrême droite.
Quant aux livres, Richard Martineau se fait rassurant : « rien d’explosif. Des livres d’histoire, de philosophie, de sociologie, des essais […] qui regardent le monde de l’œil droit plutôt que de l’œil gauche » et qui osent parler de nationalisme et critiquer les « wokes » et la « folie décolonialiste », comme ceux de Mathieu Bock-Côté, son complice chez Quebecor.
Mieux encore, on y trouve la revue Élément : pour la civilisation européenne, qualifiée elle aussi d’« extrême droite ». Qui en est le rédacteur en chef? Nul autre que le sympathique propriétaire, qui a aussi lancé les éditions de la Nouvelle librairie. Que publie-t-il? Entre autres une réédition de La Révolution nationale, livre publié en 1924 par les éditions de la Nouvelle librairie nationale et signé par le fondateur du Faisceau, le fameux « saint-patron » des lieux. Selon la publicité du jour, cet auteur « exalte ce qui n’a pas de prix : la grandeur et l’héroïsme », « parle aux hommes des grandes nations » et à « une nouvelle élite de combattants. » Bref, ça sent le fasciste bien faisandé…
Enfin, la librairie accueille des auteurs et des politiciens d’extrême droite lors d’événements qui doivent attirer un public très particulier. Tout cela pourrait sembler risqué pour des voisins juifs, musulmans, noirs ou membres de la communauté LGBTQI+, surtout que le propriétaire affirme mener une « véritable guérilla culturelle » dans ce quartier étudiant parisien.
Guérilla culturelle
Ce n’était pas la première fois que sa vitrine était vandalisée et ce n’est pas la seule librairie visée par les antifascistes. Déjà dans les années 1930, des militants du Los Angeles Jewish Community Committee ont vandalisé l’Aryan Bookstore, ouvertement nazie.
Mais des médias mieux informés que Le Journal de Montréal rapportent aussi des cas de librairies progressistes vandalisées. C’est le cas de la Plume Noire, librairie anarchiste de Lyon régulièrement attaquée par l’extrême droite. Ou encore cette librairie à Denver, au Colorado, vandalisée en 2019 lors d’une lecture de livres pour enfants par une drag queen. Sa devanture avait aussi été couverte d’autocollants homophobes. Dans la même ville, une librairie a été vandalisée à plusieurs reprises par des abrutis qui ont cru que son nom, Isis Books & Gifts, reprenait l’acronyme de l’Islamic State of Iraq and Syria. Mais non! Isis est le nom de la déesse égyptienne de la fertilité.
En 2018, une librairie générale à Genève avait exposé en vitrine des livres sur l’antifascisme. Pendant la nuit, ses vitrines ont été fracassées et des signes néonazis barbouillés sur sa façade. La même année, une librairie à San Diego a été vandalisée. Selon le communiqué de la librairie, l’attaque a eu lieu dans « le sillage d’une série d’actions d’extrême droite et de suprémacistes blancs : déroulement de bannières, tentatives d’intimidation des classes d’études du genre et d’études ethniques critiques […] et menaces de violence contre la librairies Revolution Books, à l’Université Berkeley ».
Si Richard Martineau tient absolument à effrayer son lectorat en évoquant des gens qui brulent des livres, il pourrait s’offusquer d’un véritable incendie criminel qui a dévasté le café-librairie Pecora Elettrica, à Rome, en 2019. Mais ça ne doit pas l’intéresser. Il s’agissait d’un café-librairie antifasciste.
De toutes les librairies attaquées, Richard Martineau fait donc le choix de défendre celle d’extrême droite qui vend des livres de véritables fascistes. Il fait aussi le choix de la présenter comme une librairie plutôt ordinaire et d’exagérer la nature de l’attaque, pour qu’on n’y voit que du feu. Une fois de plus, il joue à l’idiot utile de l’extrême droite. Bonjour l’audace!