Lorsque nous considérons le traitement réservé par le Canada, qu’il soit anglais ou français, aux Premières Nations, il est impératif de se rappeler que nous évoluons toujours dans un système politique et légal appliquant une Loi sur les Indiens. Déjà, le fait que cette loi porte encore la marque raciste et coloniale du terme « Indien » devrait nous rappeler que la culpabilité canadienne n’est pas à chercher au passé, mais qu’elle se perpétue au présent, ce qu’année après année les rapports de Human Rights Watch et d’Amnistie internationale ne manquent pas de nous rappeler, toutefois sans grande couverture médiatique.
Bien que personne n’oserait référer aux communautés autochtones comme à des « Indiens » dans l’espace public contemporain, nos lois, elles, ne s’en gênent pas. Et en dehors des tragédies et revendications autochtones qui ponctuent de temps à autre l’espace médiatique canadien, les Canadiens, eux, somme toute, persistent à n’y voir aucun problème.
Notre incapacité à considérer (et à juger) le présent de notre crime fédéral se remarque, notamment, par des débats publics qui aiment beaucoup disserter du passé, mais qui se révèlent étrangement silencieux sur les affres du présent. En ce sens, depuis la découverte macabre de centaines de dépouilles d’enfants proche des anciens pensionnats autochtones, deux questions largement historiques divisent l’opinion publique. D’abord, le traditionnel « à qui la faute » ? Faut-il blâmer l’Église catholique, les anglicans et autres variétés de protestants, la chrétienté dans son ensemble ? Devons-nous condamner le Canada anglais et exonérer le Canada français ? Les deux ? Seulement le Canada français (catholique) ? Ensuite, « comment qualifier le crime » ? S’agit-il de racisme, d’un génocide ou de colonialisme ? Les différentes combinaisons de réponses à ces questions sont évidemment fonction de nos hétéroclites ambitions politiques actuelles.
Si l’un répondra qu’il s’agit d’un génocide commis par le Canada anglais et qu’ainsi le Québec n’a rien à se reprocher et, lit-on entre les lignes, rien à faire (d’ailleurs, même s’il s’agissait d’un crime de l’Église, le noble Québec, dit-on, s’est libéré de celle-ci, en ayant tout autant été victime), l’autre rétorquera que cet infâme acte de racisme relève de la responsabilité de l’ensemble du Canada et que chaque Canadien, quel qu’il soit, doit cultiver honte et culpabilité. Dans les deux cas, toutefois, après avoir évalué le pour et le contre, si l’un quitte le débat en s’en étant lavé les mains, et si l’autre offre de belles excuses, peut-être même accompagnées de larmes, aucun ne proposera de grandes réformes s’attaquant aux problèmes contemporains affligeant les communautés autochtones, comme le manque d’eau potable, le niveau de vie parfois misérable, la déréliction des différentes cultures et la perte terrible des langues traditionnelles. Et nous persisterons, dans ce pays des droits humains, à avoir une Loi sur les Indiens. C’est que ne parler que du passé repousse la nécessité d’attaquer le présent.
Mais plus encore, toutes ces questions, bien qu’intéressantes et légitimes selon certains points de vue, sont largement insignifiantes du point de vue contemporain. Que les Français aient été plus sympathiques que les Anglais avec les Premières Nations ou que le crime soit fédéral ne change absolument rien à la complicité présente du Québec. Le Québec n’est pas aujourd’hui indépendant, nous envoyons toujours nos députés à la Chambre des communes, nos passeports sont canadiens : au présent, nous sommes autant complices que les Britanno-Colombiens ou les Saskatchewanais. Que nos ancêtres l’aient peut-être – ça se défend – moins été ne change rien à notre devoir d’aujourd’hui d’agir contre la structure raciste canadienne pour le mieux de ces premières nations qui sont, après et avant toute chose, composées d’êtres humains.
Quant à savoir s’il s’agit d’un génocide, de racisme ou de culturalisme, la question n’est importante qu’en ceci que la définition du crime, par exemple dans le cas du génocide, pourrait offrir différentes solutions de réparations et de changement. D’ailleurs, comprendre la racine du mal est nécessaire à sa thérapie.
Après tout, pour conclure avec une analogie forte, mais qui ne manque pas de sens, la situation contemporaine des autochtones au Canada ressemble un peu à celle qui aurait pu être celle de l’Allemagne si, après la victoire des Alliés, les nazis, demeurés au pouvoir, avaient certes cessé le génocide industriel et mécanique, mais avaient conservé les ghettos et la discrimination systématique des Juifs. Il faut le dire, il faut le ressentir : nous avons eu, et avons encore, au sens littéral comme au sens figuré, nos camps.
Georges Mercier, étudiant à la maîtrise en science politique à Sciences Po Paris et président du Parti Québécois dans la circonscription de Bertrand