Dans le paysage médiatique, une émission détonne : Huissiers, diffusée sur les ondes de Noovo depuis 4 saisons. Cette docu-série télédiffuse des évictions de locataires de manière sensationnaliste et réductrice. L’accent est souvent mis sur les problèmes psychologiques des locataires évincés, leurs enjeux d’accumulation compulsive, leurs problèmes de consommation, ou encore l’infestation de parasites dans leur logement. Le ton de certains segments des émissions est digne des pires télé-réalités américaines. On s’attendrait à mieux de la part de Bell et de Pixcom, les coproducteurs de l’émission. Rappelons qu’avec la campagne Bell Cause pour la Cause, Bell se positionne comme un leader dans la lutte contre la stigmatisation en santé mentale.
Notre organisme en santé mentale a été alerté par Mara*, une participante à l’émission, qui a signé sans comprendre les autorisations pour être filmée alors qu’elle était en pleine crise. Elle témoigne: :
Je ne savais même pas qu’on me filmait pour la télévision. C’était une journée horrible, et je n’étais pas moi-même. J’ai tout perdu cette journée-là. Je n’aurais jamais accepté de participer à l’émission si j’avais compris de quoi il s’agissait. J’ai perdu des amis à cause de ça, et j’ai peur que ma famille et d’autres gens qui me connaissent voient l’émission.
Son expérience interpelle. Toutes ces personnes évincées ayant participé à l’émission à visage découvert, étaient-elles en état de consentir à être filmées? Quand l’huissier, un représentant de la loi, se présente chez elles avec des caméras de télévision, peut-on parler d’un consentement libre et éclairé? À plusieurs reprises, l’émission présente des locataires qui protestent ou encore qui pleurent, supplient l’huissier de ne pas les évincer. L’émission diffuse des images de leurs objets personnels, qui se ramassent souvent sur le trottoir. Combien de personnes ont vu leur réputation détruite, et leur détresse psychologique augmenter après leur passage à l’émission Huissiers? Combien ont vécu de l’intimidation, reçu des insultes sur les médias sociaux?
Mara ajoute :
Je ne suis probablement pas la seule à avoir été victime de l’émission. Quand ils ont fait ça, j’étais malade et mon propriétaire le savait. Il avait pris un arrangement avec moi, et les huissiers sont quand même venus. Ce n’est pas juste. Ça a été vraiment difficile. Il y a eu des moments où j’ai pensé mettre fin à mes jours, mais j’ai persévéré et j’ai été forte.
La détresse vécue par les locataires évincés est réelle et particulièrement alarmante depuis plusieurs années. Nous sommes en pleine crise du logement. Les locataires évincés auront toutes les misères du monde à se reloger. Nous jugeons que ce n’est pas un spectacle acceptable que de les regarder se faire mettre à la rue. Combien de personnes filmées par l’émission Huissiers dorment maintenant dans des refuges pour personnes en situation d’itinérance?
Présenter la misère des locataires en situation d’éviction de la manière dont l’émission Huissiers le fait est préjudiciable. Il y a des manières beaucoup plus complètes, responsables et constructives de parler d’enjeux de logement.
Les gouvernements font régulièrement campagne pour déstigmatiser les problèmes de santé mentale et l’itinérance, rappeler que « ça peut toucher n’importe qui ». La vision réductrice, sensationnaliste et voyeure que Huissiers promeut envoie un message bien différent. Nous croyons que cela a un effet social négatif, et ça doit cesser.
Une pétition circule en ligne sur la plateforme Change.org, demandant à Bell et Pixcom l’arrêt immédiat de la production de cette émission. Les diffuseurs y sont interpellés pour mettre fin à la diffusion de cette émission, en ondes et sur le Web. On demande également aux organismes subventionnaires publics de cesser le financement et de ne plus offrir de crédits d’impôt à la production de cette émission.
Alors qu’on se relève d’une dure pandémie, que l’itinérance a augmenté et que l’on voit des familles se retrouver sans logis au 1er juillet, cette émission n’a tout simplement plus sa place.
Anne-Marie Gallant, intervenante en santé mentale, Projet PAL
*Mara est un pseudonyme