Mais à l’heure de la post-vérité et du triomphe d’une désinformation ironiquement facilitée par la démocratisation des moyens de communication, il semble que les vieux réflexes, surtout idéologiques, aient la vie dure.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder la transcription du point de presse de Ruba Ghazal lorsqu’elle a présenté une motion qui, pourtant, était claire et limpide dans sa dénonciation de violences qui font des victimes innocentes.
Je la cite :
En fait, j’espère que, si les autres partis d’opposition l’appuient, que l’Assemblée nationale puisse affirmer son soutien au peuple palestinien pour que les violences qu’actuellement des victimes innocentes sont victimes en ce moment… Il y a des gens qui décèdent, il y a des enfants qui décèdent, et j’espère de tout coeur que ça va cesser.
Il n’en fallut pas plus pour que de fins limiers de la presse parlementaire – je ne nommerai personne, surtout qu’un d’entre eux fut quand même récemment victime d’une charge diffamatoire qu’il ne méritait honnêtement pas – supplient presque la députée solidaire de clarifier son propos.
Bien, est-ce qu’il n’y a pas matière, quand même, à prudence? Parce qu’il y a quand même plusieurs parties qui sont impliquées. Il y a le Hamas qui bombarde aussi Israël. Et tout le monde sait qu’il est difficile de pouvoir tracer, de démarquer, de dire qui a raison, qui a tort dans un conflit comme ça.
[…] est-ce que c’est dans votre motion? Est-ce que vous parlez aussi, par exemple, des décès israéliens ou non?
Derrière des apparences de neutralité, ces questions semblent, inconsciemment au mieux, orientées par un soutien tacite mais par défaut à Israël, prépondérant non seulement chez la classe politique mais aussi dans l’ensemble des grands médias québécois.
On pouvait d’ailleurs lire dans les pages du Journal de Montréal une lettre ouverte co-signée par l’ex-ministre péquiste Jacques Brassard (qui se définit lui-même comme un « catholique sioniste de droite, au moins il est transparent) qui dénonçait le milieu pro-palestinien montréalais comme « lieu de radicalisation » ainsi qu’une chronique de Mathieu Bock-Côté qui parlait d’un « antisémitisme importé à Montréal ». Importé d’où? Du Moyen-Orient. Car s’il reconnaît du bout des lèvres le droit des Palestinien.ne.s « de vivre en paix », il accroche sa crainte (légitime) de l’antisémitisme à la remorque de la définition problématique qu’en a faite l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, dont j’ai déjà traité et qui fait l’objet d’un autre texte récemment publié dans nos pages. Et, évidemment, c’est la faute du « multiculturalisme canadien », alors que le soutien à la résistance palestinienne était fondamental au sein du mouvement indépendantiste des années 1960 et que, trente ans auparavant, l’antisémitisme était assez foisonnant chez les nationalistes canadiens-français.
On appelle ça l’indignation sélective, souvent observée dans l’analyse des guerres et des conflits où les commentateurs reprennent la novlangue issue des relations publiques des forces armées qui désignent les victimes civiles (surtout celles à la peau foncée) comme des « dommages collatéraux ». Ils dénoncent le terrorisme du Hamas sans jamais condamner l’état d’Apartheid et le terrorisme d’État auxquels se livre Israël en colonisant illégalement des terres palestiniennes et en persécutant les familles des combattants palestiniens en guise de représailles. Ils se taisent lorsqu’un bâtiment abritant des médias étrangers est délibérément visé.
Mais bon, si les autorités israéliennes disent que le Hamas occupait le bâtiment, c’est que ça doit être vrai.
Et à l’heure où les cadavres de civils innocents continuent de s’empiler, de quoi nos éditorialistes s’inquiètent-ils? D’une victoire du Hamas aux prochaines législatives.
Deux poids, deux mesures
Cette année, la Fête des Patriotes coïncidait avec une reprise des assauts de l’armée israélienne contre Gaza dans la foulée de la commémoration de la Nakba, « jour de la catastrophe », qui inaugurait des décennies de persécutions, le 15 mai dernier. On y célébrait le courage et la résilience de valeureux maquisards qui, en 1837 et 1838, ont préféré mourir debout face à l’ennemi impérial que de plier l’échine sous le poids de la menace des armes.
Là réside un véritable déni aux Palestinien.ne.s de cette « permission de raconter » leur récit.
Je laisse à Edward Saïd le dernier mot de cette chronique, tiré de son opus magnum « Orientalisme » (traduction libre) :
Chaque empire, dans son discours officiel, souligne qu’il n’est pas comme les autres, que ses circonstances sont spéciales, qu’il a une mission d’éclairer, de civiliser, d’amener l’ordre et la démocratie, et qu’il utilise la force en ultime recours. Et, tristement, on trouve toujours une chorale d’intellectuels volontaires pour prononcer des mots apaisants à propos d’empires altruistes ou bienveillants, comme si on ne pouvait croire de nos propres yeux la destruction et la misère et la mort, semées par la plus récente mission civilisatrice.