On observe une sorte de neutralisation de la classe politique, qui est notamment tributaire des manœuvres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Cette dernière promeut en effet auprès d’elle une définition tendancieuse de l’antisémitisme selon laquelle toute critique de l’État d’Israël est présentée, à tort, comme la version contemporaine d’un nouvel antisémitisme. Sous son influence, des libéraux de Justin Trudeau aux élus de Projet Montréal, la classe politique canadienne demeure ainsi tétanisée, neutralisée et silencieuse.
C’est cette complexité des points de vue qu’on met de côté lorsqu’on accepte sans se questionner la définition de l’antisémitisme promue par l’IHRA. Une lecture critique et serrée de cette dernière expose la volonté manifeste des États occidentaux et des réseaux pro-israéliens de museler les mouvements antiracistes qui dérangent leurs visées impérialistes.
Plus fondamentalement, la définition de l’IHRA pêche par son caractère vague : en dissociant l’antisémitisme des autres manifestations du racisme, notamment de l’islamophobie, du racisme anti-autochtone, anti-arabe ou anti-palestinien, elle refuse de s’ancrer dans un cadre antiraciste et décolonial, comme dans celui du droit international, des droits humains et plus fondamentalement de la justice raciale, comme dit la sociologue Alana Lentin. Une telle singularisation de l’antisémitisme vis-à-vis des autres formes de racisme conduit à des impasses et à des pièges au moment où les mouvements sociaux cherchent à faire valoir la dimension systémique et institutionnelle du racisme dans l’espace euro-atlantique.
Soulignons que même Kenneth Stern, l’auteur principal de la définition de l’IHRA, en a désavoué « l’instrumentalisation » dans le but de faire taire les critiques d’Israël. Cette dérive doit être dénoncée. Car, si la définition promue par l’IHRA était adoptée aux divers échelons gouvernementaux, les universitaires ou les militant.e.s, et particulièrement celles et ceux qui mènent des recherches sur l’antiracisme et la décolonisation, risqueraient d’être injustement frappé.e.s d’anathème. Les conséquences seraient dramatiques : intimidation, censure, précarité d’emploi, procès, etc.
Pour le moment, aucune université et aucun collège au Canada n’a adopté la définition de l’IHRA et plusieurs conseils municipaux ont rejeté des tentatives en ce sens. Mais à Montréal, qui avait résisté l’an dernier, l’arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce est allé de l’avant récemment. La métropole gardera-t-elle le cap? Il faut y travailler.
Car à défaut, c’est tout le mouvement de solidarité incarné notamment par le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) qui risque d’être dans le collimateur. Or, et comme l’intellectuel israélien Gideon Levy le rappelait récemment (Ha’Aretz, 30 janvier 2021), « ce mouvement ne souhaite nullement détruire Israël, il vise cependant à démanteler son régime suprémaciste juif; le droit au retour des Palestiniens ne consiste pas à vouloir jeter les Juifs à la mer; la solution d’un État binational ne veut pas rapatrier les Juifs en Europe ». Ses revendications touchent un point névralgique : sans réparations pour les populations palestiniennes spoliées et dépossédées de leurs terres, il ne pourra jamais y avoir de justice.
Elle a aussi beaucoup à voir avec ce qui se passe dans d’autres sociétés issues du colonialisme de peuplement, comme c’est le cas au Canada, au Québec et ailleurs. Nous pensons que toutes les vies comptent à égalité et qu’il faut lutter avec vigueur contre l’antisémitisme, l’islamophobie, la sinophobie, le racisme anti-autochtone, le racisme anti-noir, anti-rom…
Dans le cas de la Palestine, on doit refuser, comme le dit Joseph Massad, le droit au racisme dont essaie de se prévaloir Israël en essayant de se présenter comme le gardien des valeurs libérales et séculières dans la région. Il nous faut voir que quand Israël viole le droit international, pratique l’apartheid, parle un double langage et bafoue les valeurs qu’il prétend défendre, c’est nous qui le faisons si nous tolérons ses agissements. Dans la mesure aussi où Israël fait idéologiquement partie de la géographie imaginaire occidentale.
Comme citoyens et citoyennes du Québec et du Canada et en tant qu’êtres humains, nous n’acceptons pas l’image de nous-mêmes que le gouvernement israélien nous renvoie ni l’impunité dont il jouit de la part de nos gouvernements, et c’est pour cela que nous nous en désolidarisons publiquement. Nous sommes tous et toutes PalestinienNEs.
Mouloud Idir, Centre justice et foi
Philippe Néméh-Nombré, Ligue des droits et libertés
Safa Chebbi, Convergence des luttes des Suds
Dyala Hamzah, Coalition BDS-Québec
Fabienne Presentey, Voix juives indépendantes
Parker Mah, Chinois progressistes du Québec
Alexandra Pierre, Ligue des droits et libertés