Pour ma part, et bien que je sois celui qu’il critique en parlant de ceux qui trouvent merveilleux la recherche d’un équilibre entre les droits individuels et collectifs, il s’avère que le premier alinéa de l’article 118 dans lequel le législateur déroge de la charte québécoise m’apparaît effectivement problématique. Je suis désolé de ne pas correspondre à la caricature qu’il se fait de ma position.
Dans le même sens, j’ai été parmi ceux qui se sont opposés avec vigueur à la loi 21, car même si le législateur prétend là aussi réaliser un équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels, j’ai estimé qu’il y avait un réel déséquilibre. Il m’apparaît d’ailleurs politiquement incohérent, pour affirmer les droits collectifs du peuple québécois dans une loi quasi constitutionnelle, qu’il s’agisse de la laïcité ou de la langue française, de contrecarrer l’application des 38 premiers articles d’une autre loi quasi constitutionnelle que ce même peuple s’est donné.
Les droits collectifs sont-ils seulement des droits minoritaires?
Pour Jean Leclair, les seuls droits collectifs acceptables sont les droits minoritaires. Il voudrait les réserver à des minorités qui cherchent à se protéger au sein d’un État souverain englobant. Or, le droit à l’autodétermination est le droit collectif par excellence. En quoi s’agit-il d’un droit minoritaire? Leclair semble vouloir restreindre ce droit à une certaine interprétation, au demeurant fort restrictive, du droit à l’autodétermination interne. Et pourtant, le droit international admet aussi le droit à l’autodétermination externe, et ici il ne peut pas être question d’exercer des droits minoritaires.
En outre, le droit à l’autodétermination, même exercé à l’interne, n’est pas un droit que le groupe exerce en tant que minorité et il ne porte pas sur des droits minoritaires. C’est encore moins un droit que l’État englobant accepte généreusement d’accorder. C’est plutôt un droit que le peuple choisit librement de s’octroyer, même si c’est à l’intérieur d’un État englobant, et c’est un droit servant à fixer les règles du vivre-ensemble sur son territoire.
La Charte de la langue française, comprise désormais comme une loi quasi-constitutionnelle, ne fait pas qu’affirmer des mesures protectionnistes. Il faut faire la différence entre une loi particulière qui aurait pour seul objectif de protéger la minorité québécoise au sein du Canada et une loi quasi constitutionnelle qui fixe les règles du vivre-ensemble sur le territoire du Québec. Quand en France le peuple français affirme dans sa constitution via son État que le français est la langue de la République ou qu’il affirme la laïcité (stricte) de l’État, il n’introduit pas des mesures de protection pour un groupe minoritaire. Il affirme les règles du vivre-ensemble sur le territoire français.
Des droits du peuple et non des droits de la majorité
Les droits collectifs du peuple québécois font état du français comme langue officielle et langue commune. Tous les citoyens du Québec peuvent s’accorder sur ce point, même ceux qui appartiennent à la minorité anglophone ou aux peuples autochtones. Il s’agit d’une règle acceptable pourvu que les droits collectifs de la minorité anglophone et des peuples autochtones soient respectés. J’ajoute que la meilleure façon de respecter les droits des peuples autochtones serait d’incorporer la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007 au corpus juridique québécois.
Pour contrer l’idée de droits collectifs autres que minoritaires, certains supposent que la seule alternative est d’admettre l’existence de droits collectifs majoritaires. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit ici. Il s’agit du droit des peuples. Qui voudra nier que les peuples existent et qu’ils ont des droits collectifs? Or, ils jouissent de tels droits indépendamment de leur importance numérique au sein d’une société donnée.
Des contraintes raisonnables aux droits individuels
La charte de la langue française, comprise comme une loi quasi-constitutionnelle, impose des contraintes raisonnables aux libertés individuelles. Ainsi, les francophones et allophones doivent envoyer leurs enfants dans des écoles primaires et secondaires de langue française. L’affichage commercial doit être de façon prédominante rédigé en français. Les entreprises de 25 employés et plus doivent se franciser.
En donnant un statut quasi constitutionnel à la charte de la langue française ainsi qu’à une éventuelle charte de la laïcité ouverte, le peuple québécois via son État affirmera haut et fort les règles du vivre-ensemble au Québec. Il exercera son droit collectif à l’autodétermination interne. Cela doit se faire en harmonie avec la charte des droits et libertés de la personne et ce, afin de réaliser un équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs.
Justin Trudeau a pourtant, de son côté, consulté ses experts juristes et ceux-ci ont trouvé parfaitement acceptable la règle constitutionnelle selon laquelle le français est la langue officielle et commune du peuple québécois. Je ne sais pas si l’enjeu aboutira en Cour suprême et si celle-ci tranchera en faveur de la suprématie des droits individuels, mais il est raisonnable de supposer qu’elle entendra raison. Il en va en tout cas du juste équilibre entre le droit du peuple de se donner des règles via son État et la règle de l’État de droit.
Conclusion
Ceux qui, comme Jean Leclair, affirment la suprématie des droits individuels ont besoin de se représenter leurs adversaires comme affirmant à l’opposé la suprématie des droits collectifs. Ils ne semblent pas apercevoir la nécessité de réaliser un équilibre entre les deux ordres de droits.
Ils voient dans l’État une sorte de corps étranger qui impose de l’extérieur un pouvoir venu de nulle part affectant les individus et les minorités. Et pourtant, les peuples posent très souvent des gestes en tant que collectivités via leur État. C’est ce que les Canadiens font souvent avec l’État canadien, mais je comprends que cela dérange ceux qui ne veulent pas que ce soit le cas pour le peuple québécois.