L’arrivée de la GRC a mis fin à l’ambiance de calme avant la tempête qui régnait depuis plusieurs semaines dans les campements érigés par les activistes. Le 18 mai dernier, les policiers se sont présentés à l’une des barricades et ont emmené les manifestant.es qui refusaient de quitter la zone, une opération qui s’étendra sur quelques jours selon la GRC.
Malgré les arrestations, les militant.es se disent prêts à défendre les forêts jusqu’au bout.
Depuis l’été dernier, les activistes bloquent les routes forestières pour empêcher l’accès à plusieurs zones de coupes autour du bassin versant de Fairy Creek, dans le sud-ouest de l’île.
Le 1er avril, la Cour Suprême de la province a accordé une injonction à une division de l’entreprise Teal Jones, pour que celle-ci puisse poursuivre ses activités forestières dans les zones bloquées par les manifestant.es. Dans sa décision, le juge indique que la question de la préservation des arbres anciens doit être réglée par le gouvernement, et qu’il est dans l’intérêt public d’assurer le respect de l’état de droit.
Teal Jones soutient pour sa part que ses plans d’exploitation forestière dans la zone du bassin versant de Fairy Creek ont été mal représentés puisque seulement une petite partie des arbres est désignée pour la coupe.
Sauvegarder un héritage millénaire
Jean-François, qui souhaite taire son nom de famille par peur de représailles, a suspendu sa vie de menuisier pour venir rejoindre ce mouvement qui veut préserver les derniers peuplements d’arbres anciens sur l’île de Vancouver. «C’est rendu juste des petites forêts de rien, de petits endroits de quelques acres où il y a des arbres anciens de 800, de 1000 ans, de 1200 ans», se désole-t-il. Sauvegarder ces forêts emblématiques est, selon lui, un devoir envers les générations futures.
Solène, une autre activiste qui préfère elle aussi garder son nom de famille confidentiel, s’est jointe au mouvement début avril après que la Cour suprême de la province ait accordé l’injonction à Teal-Jones. Pour elle, participer à ce mouvement signifie se battre pour préserver les derniers vestiges de l’époque précoloniale. «En coupant les forêts anciennes, j’ai l’impression qu’on est en train d’effacer ce qui s’est passé avant que la société européenne arrive», s’indigne-t-elle.
Des refuges pour la biodiversité
Si les activistes mènent ce combat avec tant d’ardeur, c’est aussi pour protéger des écosystèmes uniques. «Voir les rivières couler avec l’eau claire et la multitude de la biodiversité qu’on retrouve dans ces forêts-là, c’est incroyable!», lance Jean-François.
Ces écosystèmes jouent également un rôle important dans l’atténuation des effets des changements climatiques. «Les forêts pluviales de la côte ouest sont les plus grands puits de carbone au monde après la forêt boréale et l’Amazonie. Si le Canada veut atteindre ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixées à la Conférence de Paris, il est absolument crucial de laisser ces forêts intactes», affirme Suzanne Simard, professeure d’écologie forestière à l’Université de la Colombie-Britannique, célèbre pour ses travaux sur la communication des arbres.
L’automne dernier, le gouvernement néodémocrate de la Colombie-Britannique de John Horgan s’est engagé à mettre en oeuvre l’ensemble des 14 recommandations d’un rapport indépendant sur l’avenir des forêts anciennes qui appelle notamment à la suspension immédiate de l’exploitation forestière dans les écosystèmes les plus fragiles. L’organisme de conservation Ancient Forest Alliance estime toutefois que le gouvernement se traîne les pieds dans ce dossier. «À moins que le gouvernement ne prenne des actions plus significatives pour un arrêt immédiat de la coupe dans les écosystèmes les plus à risque, il ne restera bientôt plus de forêts anciennes à protéger», prévient Andrea Inness, militante pour l’organisme.
Le dernier rempart
Alors que les arrestations se multiplient, les activistes mettent tout en œuvre pour que les projecteurs médiatiques soient braqués sur eux.
Selon Andrea Inness, l’impact de ces arrestations pourrait être considérable : «On parle ici d’activistes qui sont emmenés par la police dans la circonscription du premier ministre. Le message que cela envoie est fort!»
Les activistes croient fermement que les coups d’éclat sont le seul moyen de faire avancer les choses. «On a essayé les pétitions, les manifestations, on a tout essayé, pourtant, il n’y a rien qui se passe», se désole Solène. Pour elle, la résistance des activistes est le dernier espoir pour sauvegarder ces forêts : «On est le last stand ici. Notre dernier rempart c’est la désobéissance civile.»
Pour aller plus loin, lisez la couverture de nos collègues anglophones :
Fight over old-growth logging in Caycuse Valley heats up
PHOTO: Scenes from B.C.’s latest ‘war in the woods’
RCMP backtracks on excluding journalists from logging protest site facing police raid