Plus de 750 000 doses du fabricant AstraZeneca devaient arriver en mai, mais le gouvernement haïtien a rejeté ce don du programme COVAX, codirigé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le principal motif : la médiatisation des cas de thrombose qui, bien que rares, a dissuadé le gouvernement. «La population ne croit pas dans [les risques de] propagation de la maladie au point d’accepter une vaccination qui commence à montrer des effets secondaires, dont certains mortels», affirme le directeur général du ministère de la Santé Publique et de la Population en Haïti, Dr Lauré Adrien.

L’idée de distribuer des vaccins d’un autre fabricant, faisant l’objet de «moins de controverses», est étudiée, fait savoir ce dernier. Des discussions sont en cours entre l’État et l’OMS, confirment les deux parties.

L’objectif de l’OMS est de vacciner 20 % de la population d’ici la fin de 2021, a souligné l’organisation par courriel. L’opération se déroulerait en deux phases, dont la première permettrait d’immuniser 3 % des populations identifiées comme prioritaires. Toutefois, aucun échéancier précis n’a été confirmé de la part de l’OMS et le ministère a évoqué le mois de juillet comme étant le calendrier le plus optimiste.

Entre relâchement et scepticisme

Contrairement à plusieurs pays dans le monde, on ne sent pas que la vaccination anti-COVID est une priorité pour les Haïtien.nes. «Si vous faites un micro-trottoir, vous risquez d’avoir un chiffre pas très loin de zéro [personne qui voudrait se faire vacciner]», estime M. Adrien. Selon lui, plusieurs n’ont pas vu de ravage et cru à la virulence du coronavirus.

Par ailleurs, beaucoup de gens sont méfiants envers les pharmaceutiques pour des expérimentations médicales ayant fait des victimes dans le passé, comme en témoigne cette chronique d’Anne-Lovely Étienne au Journal 24 Heures. De plus, les inquiétudes actuelles concernent plus la violence que le virus. Les habitants de la capitale, Port-au-Prince, vivent même un autre genre de confinement en raison de l’insécurité.

Au début de la pandémie, le pays a enregistré un pic de contaminations, surtout en juin 2020. Par la suite, les données témoignaient d’une accalmie. Le ministère de la Santé Publique a même arrêté de publier des bilans quotidiens -jusqu’à tout récemment (voir plus bas). Les grands rassemblements de tout acabit ont repris -messes, spectacles et soirées dansantes. Il y a eu un relâchement des mesures barrières; le port du masque est à géométrie variable dans les commerces et n’est obligatoire que dans certaines institutions, dont les banques.

Il n’est pas rare d’entendre des gens dire : «Pa gen cowona nan peyi a (Il n’y a plus de coronavirus dans le pays)».

Haïti est jusqu’à maintenant relativement épargné par la crise sanitaire mondiale qui perdure depuis plus d’un an. «La COVID-19 n’a pas provoqué la catastrophe annoncée pour Haïti. Nous avons eu moins de 2000 hospitalisations depuis le début de la pandémie», souligne M. Adrien.

Selon ce responsable, il n’y pas lieu de s’empresser dans cette course mondiale au vaccin. «En toute honnêteté, je ne vois pas la logique de prioriser un achat de vaccins maintenant», avait-il témoigné, la semaine dernière. M. Adrien considère même qu’il ne serait «pas très intelligent» de recevoir massivement des doses sans avoir une garantie qu’elles trouveront preneurs avant leur expiration.

Sonnette d’alarme

Toutefois, les cas sont maintenant repartis à la hausse. Au cours des deux premières semaines de mai, les autorités ont observé une augmentation de 142 cas positifs ainsi que huit nouveaux décès. Le quotidien Le Nouvelliste d’Haïti fait également état d’une hausse importante des hospitalisations du côté de l’Hôpital Saint-Luc, à Port-au-Prince et de l’Hôpital de Mirebalais, dans le département du Centre. Dans le cas de l’Hôpital Saint-Luc, les besoins en oxygène sont devenus préoccupants.

Il y a une semaine, Dr Lauré Adrien du ministère de la Santé Publique n’avait pas encore eu connaissance de la présence des nouveaux variants au pays. Or, la situation a changé le 14 mai, alors que l’État a annoncé que les variants brésilien et anglais ont été détectés sur le territoire.

Est-ce que le pays est en proie à une deuxième vague de COVID-19? C’est ce que craint l’infectiologue Jean William Pape des Centres GHESKIO, qui a invité le ministère de la Santé Publique à reconsidérer les doses d’AstraZeneca via le don du programme COVAX. Celui qui est aussi membre du Conseil scientifique de l’OMS s’inquiète d’un scénario semblable à celui de l’Inde. «Subitement, après avoir baissé leur garde, les gens ont contracté une variante beaucoup plus virulente. Et cela a provoqué des dégâts», a-t-il affirmé sur les ondes de Radio Magik9.

Depuis plusieurs semaines, COVAX accuse d’importants retards avec la livraison des vaccins AstraZeneca, son principal fournisseur basé en Inde. De plus, le pays aux prises avec une crise sanitaire sans précédent a fermé ses frontières pour l’exportation de doses.

Pour suivre l’évolution de la situation sanitaire en Haïti, rendez-vous sur le compte Twitter du ministère de la Santé Publique et de la Population.