Sacré Meilleur film lors de la 93e cérémonie des Oscars, Nomadland a visiblement conquis l’industrie. La réalisatrice Chloé Zhao a ainsi marqué l’histoire des Oscars en devenant la première gagnante issue de la diversité a remporté la meilleure réalisation, en plus d’être la deuxième femme a remporté ce prix après Kathryn Bigelow en 2010. Frances McDormand a également remporté l’Oscar de la meilleure actrice, son troisième en carrière.
Adapté du livre de Jessica Bruder Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century (2017), le film de Chloé Zhao a également charmé le public. Les critiques ont largement abordé ses multiples thèmes telles la culture nomade, la rupture avec les fondements du rêve américain, la quête de la liberté, mais très peu de celui qui apparaît pourtant comme central : le deuil.
La croisée des chemins
Mais, qu’est-ce que le deuil exactement? L’anthropologue Émilie Lessard le résume ainsi : «À la base, c’est un processus naturel qui émane de la conscience de la mort. C’est une réaction normale face à la perte d’un être cher qui se traduit par une puissante détresse.» Cette détresse, on peut rapidement l’apercevoir chez Fern, dès les premières scènes du film, alors qu’elle visite son petit entrepôt. On la voit saisir un manteau de jeans qui trône sur une boîte en carton entrouverte, pour ensuite le porter à son visage, les yeux pleins d’eau. Ce manteau est visiblement celui d’une personne qui lui manque : c’est celui de Bo. Elle décide de garder la veste avec elle…
Contrairement à ce que laisse croire la culture populaire, notamment avec le travail de Elisabeth Kübler-Ross (Les 5 étapes du deuil), le processus du deuil n’est pas linéaire. C’est un long parcours qui ressemble davantage à l’errance que choisissent Fern, Linda May, Bob Wells, Swankie et plusieurs autres nomades qu’à un itinéraire tout tracé d’avance. Après tout, «le deuil est quelque chose qui nous accompagne tout au long de notre existence. C’est un vide, une absence», explique Émilie Lessard.
Diagnostic de cancer, perte d’emploi ou suicide d’un être cher, «le deuil peut être une perte significative, pas juste un décès», souligne Émilie Lessard. En plus d’être veuve, Fern vit le deuil de bien des choses. La fermeture de la USG Corporation et l’effondrement économique de la ville ouvrière Empire ont forcé le départ de sa maison. Sans enfant, sans parent, sans carrière, Fern a non seulement quitté un lieu, elle a quitté toute une vie.
Film sans conteste féministe, ce road movie présente des femmes déterminées qui ont choisi de vivre différemment à la recherche d’une plus grande cohérence avec leurs propres désirs. Même avec son bras en attelle, Swankie prend la route vers l’Alaska. Linda May achète une terre au Nouveau-Mexique. Quant à Fern, elle se fait offrir un toit plusieurs fois, à long terme et à court terme. Mais sa décision est prise, elle ne veut plus dormir ailleurs que dans sa van.
À travers les paysages, dans les décors sublimes offerts par la nature, tous les liens à ce thème à la terminologie limitée qu’est le deuil peuvent se résumer dans une des scènes finales entre Fern et Bob Wells. «My daddy used to say, what’s remembered leaves», Confie Fern en citant son défunt père (mon père disait « Ce dont on se rappelle s’en va) ». En quelques mots, elle résume un élément crucial du deuil : le passage du vide laissé par un être aimé à une présence abstraite, un souvenir. «There’s no final goodbye» (Il n’y a pas d’adieu final), renchérit Bob Wells qui raconte la beauté des rencontres qui — tôt ou tard — mène tout le monde sur la même route inévitable. C’est pourquoi il préfère plutôt dire «I’ll see you down the road (On se croisera sur la route).»
Difficile de ne pas faire de rapprochement entre le thème de ce film et l’époque à laquelle il nous est présenté. L’année 2020 est certainement une année de deuil pour plusieurs personnes à travers le monde, marquée par des remises en question quant à l’avenir ainsi qu’aux conditions de vie de la population vieillissante.