Lors de quelques discours avant de prendre la rue, une porte-parole de la Coalition pour le définancement de la police a déclaré que sa coalition exigeait une réduction du budget de la police de 50%. Aucune réaction de la foule. Elle a dit ensuite qu’il fallait désarmer la police. Cette fois : ovation!

Abolir, définancer ou désarmer la police. Autant de vieilles idées qui reviennent au cœur du débat public, grâce aux mobilisations de Black Lives Matter et de leurs alliés. On en discute même dans les congrès de partis politiques. Or, la mairesse Valérie Plante a préféré modérer les attentes de ses troupes, suite au congrès de son parti : « On n’est absolument pas en train de dire que les policiers et policières du SPVM n’auront pas d’armes demain matin. […] Pour moi, ce qui est important c’est qu’on travaille avec le SPVM et l’ensemble des partenaires. » Cette ancienne militante altermondialiste n’a aucune envie qu’une histoire de fusils réduise ses chances d’être réélue en novembre prochain.

Un vieux débat qui n’a pas eu lieu

L’an dernier, Émilie Nicolas a proposé deux chroniques au sujet du désarmement de police, dans Le Devoir . Elle y rappelait que la police au Québec tue bien plus de personnes innocentes que la police en Grande Bretagne, si on considère la différence de population entre ces deux pays.

Une explication? Les patrouilles policières en Grande Bretagne n’ont pas d’armes à feu à la ceinture, à portée de main.

Déjà en 1993, le livre Désarmer la police : un débat qui n’a pas eu lieu retraçait des dizaines de cas d’interventions policières au Québec s’étant soldées par la mort d’un ou de plusieurs civils, dans les années 1970-1980. Il s’agissait souvent de braqueurs abattus de tirs dans le dos, lors de leur fuite. La police d’alors avait décidé de mettre un terme à une vague de hold ups, sans autre forme de jugement… Ce livre rapportait aussi les propos de chefs de police qui insistaient pour conserver les armes à feu à la ceinture de leurs agents. Selon eux, il importait de préserver l’image que les policiers se font d’eux-mêmes, car l’arme de service fait partie de l’identité et de l’uniforme du policier.

Aujourd’hui, ce ne sont ni des brigands ni des mafieux qui tombent sous les balles de la police, à Montréal. Les brigands se tuent entre eux et la police n’arrivent qu’après sur les lieux. Dans les quelques cas où la police fait usage de ses armes à feu, c’est pour tirer et abattre de jeunes hommes en crise psychotique, souvent pauvres et noirs, et qui n’ont pas d’armes à feu.

C’était le cas, entre autres, d’Alain Magloire, en 2014, abattu alors qu’il brandissait une hache, au centre-ville de Montréal. Or à peu près au même moment à Londres, une vidéo d’un résident montrait un autre homme sur la rue, brandissant lui aussi une hache. Les premiers policiers arrivés sur les lieux s’en sont protégés derrière les voitures stationnées, jusqu’à l’arrivée de renforts. Une douzaine d’agents ont alors revêtu l’équipement anti-émeute, l’ont encerclé avec leurs boucliers et l’ont mis au sol, sans même le blesser. Voilà tout.

Après la grève étudiante de 2012, la police de Montréal s’est vantée de son expertise quant aux arrestations de masse. Pourquoi ne pas la mettre à contribution face à un seul individu, plutôt que de lui tirer à bout portant dans le thorax (le fameux « centre-masse », où se trouvent, comme par hasard, tant d’organes vitaux)? Cela aurait certainement permis d’éviter la mort de Nicholas Gibbs, abattu dans le dos en 2018 (attention, images choquantes). Évidemment, George Floyd et d’autres victimes de la police n’ont pas été tués à coups de feu… N’empêche, les armes à feu de la police tuent des personnes qui souffrent de troubles de santé mentale (42% des victimes) et qui sont intoxiquées (45% des victimes).

L’ego

Lors d’une audience du comité de la sécurité publique de la Ville de Montréal en 2017, le directeur du SPVM avait expliqué que désarmer la police est impensable en Amérique du Nord. Ce chef ne semblait pas savoir que la police provinciale de Terre Neuve (Royal Newfoundland Constabulary) a été désarmée pendant plus d’un siècle, jusqu’à ce que la Fraternité exige que ses membres portent une arme à feu de service, au début des années 1990. À cette époque, la province était la plus pauvre du Canada et comptait proportionnellement le plus grand nombre d’armes à feu au pays…

À l’argument que les policiers risquent de se faire tuer eux-mêmes, la presse rappelait alors que seulement deux agents avaient été tués dans l’histoire de la province. En 1959, un agent était mort à la suite d’un coup à la tête reçu sur une ligne de piquetage, lors d’une grève. Avoir une arme à feu ne lui aurait pas sauvé la vie… En 1964, un agent de la GRC a été tué par des prisonniers en fuite, qui l’ont abattu avec… son arme de service!

Le professeur Elliot Leyton, de Memorial University, rappelait d’ailleurs que presque 50% des policiers tués aux États-Unis l’avaient été par leur propre arme.

Malgré ces faits, la Fraternité de la Royal Newfoundland Constabulary a obtenu des armes à feu de service, pour ne plus se sentir des « policiers de seconde catégorie ». Bref, une affaire d’ego…

En Norvège, au contraire, la police a exigé d’être à nouveau désarmée après avoir porté pendant un an des armes à feu de service, suite à l’attentat d’un néo-nazi qui a tué 77 personnes. En cas d’ultime nécessité, des armes à feu sont remisées dans le coffre des auto-patrouilles ou entreposées au poste. Mais ces agents n’ont pas une arme à tuer en permanence, à portée de main. C’est ainsi qu’on sauve des vies d’innocentes personnes, souvent pauvres et en crise psychotique. Et même des vies de policiers. Abolir, définancer ou désarmer la police? Autant de propositions jugées radicales et idéalistes. Et pourtant, l’objection des policiers ne semble pas très rationnelle, quand on regarde les faits objectivement. Préserver leur ego semble plus important que de sauver des vies. Quant aux calculs électoraux…

L’article a été corrigé. Une précédente version contenait des informations imprécises au sujet de données provenant de Grande-Bretagne