Le nationalisme de la droite s’adresse à des fantômes d’un passé difforme. Il parle de protection de la langue sans donner voix à ceux qui n’en ont pas. Il parle de fierté et détourne le regard devant les injustices, devant ceux qui souffrent. Il parle d’un passé héroïque, de La Vérendrye, de Talon ou de Champlain; une mémoire qui a bien des blancs, qui arrive difficilement à se rappeler des promesses faites aux alliés autochtones, des espoirs ouvriers, des grèves du taxi, des femmes révolutionnaires, des villes sales où on entassait la main-d’œuvre, des vagues d’immigration qui ont sué dans les champs, les usines, les ports pour une fraction du salaire, des genoux fléchis devant le curé mais aussi devant le népotisme de la petite bourgeoisie canadienne-française, de la misère noire partagée comme un petit pain entre tous.

C’est de la misère qu’a émergé le nationalisme québécois, des quartiers sans système d’égouts, des rangs sans électricité ni eau courante. Il a été façonné par des bouches noircies, il a été hurlé par des femmes accouchant de leur dixième enfant. Il a pris forme dans les Shops Angus et a respiré à pleins poumons l’amiante d’Asbestos. Il est sorti des entrailles de la souffrance, notre nationalisme, et il a laissé des gens dedans, ce faisant, parfois les écrasant pour s’extirper.

Il les a laissés là, notre nationalisme, les rebuts de la nation, et il persiste à vouloir les y laisser.

Il serait peut-être bon de l’abandonner, alors, ce nationalisme, diront certains. Il fait plus de mal que de bien de nos jours. Mais ils font une croix hâtive sur un puissant vecteur de changement, une force inégalée d’émancipation, de mobilisation, de combat, qu’il serait possible de réactualiser. Ce nationalisme, émergé de la souffrance, mais aussi de la lutte, se doit de prendre racine de nouveau dans ce terreau. Dans le combat contre les injustices, contre le pouvoir de la piastre et des maisons cossues de Westmount, mais aussi des condos du Plateau et des lofts d’Hochelaga, dans la lutte des peuples autochtones pour s’autodéterminer, des sans-papiers pour le droit de vivre sur le territoire qu’ils habitent, des Haïtiens de Montréal-Nord pour ne pas mourir aux mains de la police, ainsi que dans la laborieuse bataille pour éviter le pire des dérèglements climatiques aux générations futures.

Le nationalisme québécois n’a pas à être un nationalisme blanc. Il n’a pas à être un nationalisme de la peur, de la méfiance : défensif, nerveux, pleurnichard. Il n’a pas à être un nationalisme confortable, un nationalisme de salon, de Lazyboy. Il n’a pas à être un nationalisme corporatiste qui pleure ses « fleurons » partis, ou un nationalisme financier dont la fierté fluctue avec l’action de Bombardier, comme si le Québec était coté en bourse.

Il peut être un nationalisme responsable, animé par la responsabilité collective de la liberté, c’est-à-dire par le mantra selon lequel tant et aussi longtemps qu’un membre de la société ne jouit pas d’une pleine et entière liberté, personne n’est libre.

Une responsabilité assumée de manière commune, dans l’action, avec les autres. Une responsabilité envers les plus démunis, les plus vulnérables, mais aussi envers ceux qui luttent, d’être à leurs côtés, et non sur leur chemin. Une responsabilité d’agir, de réfléchir, d’écouter, de prendre du recul. Prendre nos responsabilités pour les torts causés, pour ceux qu’on cause encore. Prendre nos responsabilités pour nos œillères, pour nos discours, nos écrits, nos lois. En prenant ses responsabilités, ce nationalisme offre des voies pour canaliser notre énergie, ce désir de liberté. Il nous déprend de la boue dans laquelle nous sommes ensevelis depuis un long moment. Il permet d’envisager l’émancipation du peuple québécois, et des peuples avec qui il partage le territoire, comme inachevée, très loin d’être achevée.

Ce nationalisme se doit également de tourner progressivement le dos aux mécanismes froids et rouillés de l’État, repère des avocats et des hommes d’affaires. Il se doit de se tourner vers les gens, vers les villages, les quartiers, les rues, comme le cœur battant de la démocratie. Il se doit de pousser à travers l’asphalte des ruelles, des salles communautaires et des parcs. Il se doit de s’exprimer dans les conversations avec nos voisins, dans les assemblées de quartier, à l’arrêt de bus, dans les manifestations, dans la bière offerte à l’inconnu. Ce nationalisme se doit de réinscrire la communauté dans le politique, de la déprendre de l’impotence administrative dans laquelle elle est reléguée. C’est dans la pelletée de neige du voisin pour aider à sortir une voiture enlisée qu’on trouve le nationalisme. C’est dans le « comment ça va? » lancé au commis du dépanneur, qu’on trouve le nationalisme. C’est dans les chaines humaines, les coudes serrés, qu’on trouve le nationalisme. C’est dans les « ça a pas de bon sens » devant l’injuste, que se trouve le nationalisme. Il y a beaucoup de choses qui n’ont pas de bon sens au Québec.

Notre nationalisme n’est pas un nationalisme de l’identité. Notre nationalisme est un nationalisme de combat. Il se définit par le rejet de l’injustice et la quête de la liberté.

Et la lutte ne fait que commencer.

Etienne Cardin-Trudeau, étudiant au doctorat à l’Université de Toronto