Le 7 janvier dernier, la journaliste Marie-Michèle Sioui du Devoir écrivait ces lignes :

Les nombreux petits rassemblements que se sont permis les Québécois au cours du temps des Fêtes, en contradiction avec les directives de la santé publique, ont contribué à la propagation du virus, a affirmé M. Legault. Avec un couvre-feu, il souhaite envoyer un « message clair » pour que les Québécois comprennent les conséquences qui seront réservées aux récalcitrants, passibles d’amendes allant jusqu’à 6000 $.

Or, contrairement à ce qu’affirme François Legault pour justifier son approche sécuritaire et répressive, les données disponibles ne montrent aucun effet des Fêtes sur les cas quotidiens de contamination à la COVID-19. En fait, l’argument du premier ministre employé pour justifier l’imposition d’un couvre-feu s’inscrit davantage dans une stratégie de communication politique que dans la réalité empirique et statistique.

Le problème, c’est que cette fausse causalité entre rassemblements des Fêtes supposés et hausse des cas est restée imprégnée dans l’opinion publique, au point que la population québécoise semble bel et bien croire à cette narration véhiculée par nos dirigeants.

Dans ce premier texte, nous montrerons pourquoi l’effet des Fêtes est introuvable.

Normalement, les contaminations survenues à la suite des partys de Noël et du Jour de l’An auraient dû se faire sentir dans les cas enregistrés entre le 1er et le 14 janvier. En raison de la période d’incubation du virus et des délais requis pour faire le prélèvement et publier le résultat, il faut compter au moins 7 jours – voire quatorze – avant que l’effet des nouvelles contaminations ne puisse se percevoir dans le nombre de cas déclarés quotidiennement. Or, ce que l’on remarque, c’est un plafonnement des nouveaux cas à partir du 29 décembre et une diminution marquée à partir du 6 janvier.

Table 1 : Cas déclarés par jour, période des Fêtes 2020, Québec
(cliquer pour agrandir)

La grande majorité des nouveaux cas qui s’ajoutent durant le temps des Fêtes surviennent dans la période du 17 au 29 décembre, durant laquelle le nombre de cas quotidiens augmente de plus de 500 pour la seule journée du 29 décembre. À partir du 29 décembre jusqu’au sommet du 6 janvier, on note une augmentation de seulement 9 cas quotidiens, alors que c’est précisément à ce moment que l’on aurait dû commencer à sentir le présumé effet des partys des Fêtes sur la transmission communautaire.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la prévalence des cas de COVID durant le temps des Fêtes au Québec, mais il est très peu plausible que les partys privés ou les rencontres aient été à la source d’un degré de contamination suffisant pour affecter la tendance à la stabilisation, voire à la baisse des cas qui s’installait à partir du 29 décembre. Au contraire, le ralentissement des activités régulières à partir du 17 décembre coïncide assez bien avec le plafonnement du nombre de cas lorsque l’on tient compte du délai de 7 à 14 jours nécessaire pour qu’on puisse observer un impact sur la courbe épidémiologique.

Il est de plus plausible que le sommet du nombre de cas atteint au début janvier soit le résultat d’une tendance à moyen terme qui n’a rien à voir avec les visites à domicile : l’effet des Fêtes ne peut pas expliquer rétroactivement pourquoi les cas augmentent rapidement à partir de la mi-novembre, après avoir commencé à grimper plus subtilement dès la fin août 2020.

Figure 1 : Cas de Covid, effet des Fêtes et ralentissement des activités au Québec

Graphique produit à partir des données de l’INSPQ

Pour comparer, voici un réel « effet des Fêtes », qui a eu lieu en Espagne. La hausse, débutée à la mi-décembre, a explosé durant les festivités chrétiennes, car les rassemblements, qui étaient autorisés en petit nombre, ont eu lieu à grande échelle et ont nourri la transmission communautaire. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit au Québec, où la courbe suit la tendance inverse et commence à chuter à partir du 6 janvier.

Figure 2 : Évolution quotidienne de l’incidence cumulée depuis novembre : cas diagnostiqués pour 100 000 habitants au cours des 14 derniers jours en Espagne
Ce graphique montre un effet des Fêtes réel en Espagne. La zone ombragée correspond à la période des vacances de Noël. Source originale : Département ministériel responsable de la santé publique en Espagne

Source : El Diario

Pour démontrer encore plus clairement cette tendance de fond vers la baisse des cas qui s’exprime dès Noël, il suffit de s’attarder rapidement au taux de reproduction (Rt) du virus au Québec. Celui-ci a chuté le 29 décembre sous la valeur de 1, ce qui indique un contrôle de l’épidémie et une baisse des cas à venir. Mais pourquoi voit-on le taux de reproduction du virus et les cas descendre pendant la période des Fêtes? La raison est simple. Reprenons la démonstration débutée plus tôt : comme on le voit sur la Figure 1 (plus haut dans cet article), les écoles ont été fermées le 17 décembre 2020, beaucoup de travailleuses et de travailleurs sont passé.e.s en télétravail, les enfants ont quitté les garderies pour retourner à domicile et les commerces non-essentiels ont été mis à l’arrêt le 25 décembre 2020. Comme ces milieux sont des sources importantes de transmission du virus, les vider momentanément de leurs occupant.e.s a bel et bien permis de couper court rapidement à cette très longue deuxième vague. Heureusement, la vaccination qui débutait à la fin de l’année a permis de réduire grandement les éclosions et donc les décès dans les milieux de vie et de soins (CHSLD, RI et RPA), ce qui a probablement contribué significativement à la baisse des cas, des hospitalisations et des décès dans la seconde moitié de la deuxième vague.

En somme, même si cet « effet des Fêtes » n’a pas eu lieu, le gouvernement affirme tout de même depuis des mois que le couvre-feu est un outil efficace pour réduire la transmission communautaire du virus dans les « domiciles » – chez les gens qui « trichent » – et qu’il expliquerait carrément la baisse des cas dans la deuxième vague, un cadrage que quelques expert.e.s reprennent régulièrement dans les médias.

Dans un prochain texte, nous explorerons les données disponibles par rapport aux visites à domicile pour déterminer si l’effet couvre-feu appartient à la même catégorie discursive que l’effet des Fêtes : la fiction politique.

Emma Jean, doctorante et chargée de cours en sociologie, Université de Montréal

Julien Simard, chercheur postdoctoral à l’École de travail social de l’Université McGill