Chauvin a placé son genou sur le cou de Floyd pendant 9 minutes et 28 secondes, alors que ce dernier exprimait, jusqu’à son dernier souffle, ne pas être en mesure de pouvoir respirer. Un autre Afro-américain qui ne représentait aucunement une menace, qui était menotté, qui pleurait sa mère. Or, les corps noirs sont toujours vus comme des menaces dans nos sociétés occidentales. Le verdict de culpabilité a été rendu possible grâce à la vidéo du meurtre filmée par une adolescente noire. Une adolescente qui très probablement n’a pas été et ne sera jamais protégée par quiconque.
Mardi, plusieurs se sont écriés qu’il s’agissait d’un grand jour pour les Afro-américains. D’autres ont affirmé qu’on commence à entrevoir le début d’un semblant de justice. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, a remercié Floyd d’« avoir sacrifié sa vie pour la justice », en référence aux mobilisations historiques contre le racisme anti-noir de l’été dernier à la suite de son décès. Ces remarques ont provoqué un scandale, considérant que Floyd a été assassiné et qu’il n’a rien demandé.
Mardi, je n’ai rien publié sur les réseaux sociaux par rapport à cette affaire, par choix. J’ai choisi mon silence, un silence mi-figue, mi-raisin.
#SayHerName : pour les violences policières envers les femmes et filles noires
D’abord, je continue de penser à Breonna Taylor, cette travailleuse essentielle afro-américaine de 26 ans qui a bêtement été tuée par des policiers blancs. J’attends toujours une indignation aussi grande pour elle que lorsque des hommes afro-américains décèdent aux mains de la police. Taylor s’est fait tirer plusieurs dizaines de fois alors qu’elle dormait, après un raid à domicile où les policiers n’ont jamais annoncé leur présence.
Pas plus tard qu’hier, une jeune Afro-américaine de 16 ans, Ma’Khia Bryant, a été tuée par la police à Columbus en Ohio à la suite d’une bagarre entre adolescentes. Bryant était sous la responsabilité des services de la protection de l’enfance. Elle a été décrite par sa mère comme une enfant aimante, avec un caractère maternel et qui défendait la paix.
Ainsi, nos propres communautés ne sont pas épargnées par ces angles morts. Malcolm X disait que les personnes les moins protégées, les moins respectées et les plus négligées en Amérique sont les femmes noires. Je me demande souvent qui entend les femmes noires quand elles ont besoin d’écoute, d’amour, d’empathie, de soutien, de bienveillance ou tout simplement d’un coup de fil avec des excuses sincères, senties et exprimées de vive voix. Le plus souvent, cette rare protection vient de la part d’autres femmes noires qui ont compris l’importance de la sororité dans un contexte où personne ne nous protège mis à part nous-mêmes.
Une réalité bien de chez nous
Hier, nombreux étaient les membres de la classe politique ici qui ont salué le verdict dans le meurtre de George Floyd. Ces mêmes individus qui persistent à ne pas reconnaître le racisme systémique et le racisme anti-noir à la québécoise. Parce que des personnes qui décèdent dans des circonstances troubles aux mains de la police, il y en a beaucoup ici aussi. Le profilage racial, le racisme anti-noir, l’esclavage, la colonisation, ce ne sont pas des réalités importées.
Hier, je pensais à cette décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario qui a dédommagé de 35 000 $ une fillette noire de 6 ans après qu’elle ait été menottée à l’école, un acte qualifié de raciste, de discriminatoire et d’atteinte profonde aux droits de la personne. Je pensais aussi à cet autre homme et père de famille noir, expulsé de son domicile, pour une chicane avec son voisin blanc à Repentigny. J’ai aussi eu une pensée pour cet autre homme qui a eu la peur de sa vie après avoir vu la police débarquer chez lui en pleine nuit parce que sa carte de crédit n’avait pas marché dans une station-essence. J’ai pensé à Regis Korchinski-Paquet, qui vivait avec des enjeux de santé mentale, décédée dans des circonstances nébuleuses après un « wellness check » qui avait été demandé par sa propre mère.
J’ai aussi eu une pensée pour toutes ces femmes et filles noires autour de moi pour qui des Karen et des Amy Cooper du Québec ont appelé la police ou la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans le simple but de les terroriser, par pure jalousie ou par désir de vengeance. Ces mêmes Karen et Amy Cooper, des femmes blanches, qui se sont soudainement autoproclamées apôtres du mouvement Black Lives Matter sur les réseaux sociaux l’an dernier. L’hypocrisie et le militantisme performatif à son comble.
Choisir le #BlackJoy
Malheureusement, nous vivons dans une société où ça prend toujours une caméra, des « preuves » matérielles, écrites et j’en passe pour être cru quand on nous déshumanise. J’ai fait le choix de refuser de céder à ça. J’ai fait le choix d’accorder le bénéfice du doute plutôt que de faire preuve de la même présomption de culpabilité qui nous a été inculquée par ces pratiques esclavagistes et coloniales.
C’est encore le bon vieux réflexe d’identifier la pomme pourrie pour éviter de regarder dans notre cour arrière l’ensemble de notre oeuvre. Certains aiment tant s’abreuver, d’un voyeurisme crasse, des images de notre souffrance et de notre douleur. Pourtant, à mon sens, le simple témoignage devrait suffire pour être entendu et accueilli avec empathie.
Je tiens à dire aux personnes noires que nous avons le droit de nous préserver, de vivre nos joies et succès à l’abri des regards. Nous avons le droit d’être heureux et heureuse et de réussir, même si ça dérange. Car nos vies ne sont pas que de l’oppression et de la discrimination. Au contraire. Nous avons aussi le droit d’être, de vivre, de briller de mille feux et d’exister même si ce monde cherche perpétuellement à nous indiquer que nos vies ne comptent pas. Comme ceux qui nous oppressent choisissent soigneusement leur silence, nous avons aussi le pouvoir et la capacité de faire de même.