On ramène souvent la santé mentale des femmes lorsqu’elles dénoncent le comportement exécrable d’un homme à leur égard. Une forme d’échappatoire pour ne jamais regarder de fond en comble le spectre de la masculinité toxique dans tous ses tons et toutes ses nuances, en particulier lorsque celui-ci ne conduit pas au meurtre. Une violence invisible qui est d’autant plus difficile à détecter, même pour les plus érudits sur le sujet.
Pathologiser à outrance la digne colère
Dans un article publié en 2018 et titré Femmes et folie d’hier à aujourd’hui: psychiatrie et contrôle social, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes dresse un bref historique de la psychiatrie comme outil de contrôle social. L’article aborde de front le malaise que la société a avec la colère des femmes. Une femme qui se fâche est rapidement perçue comme irrationnelle, voire dangereuse pour les autres. Ces préjugés peuvent souvent n’avoir aucun fondement puisque le raccourci intellectuel entre dangerosité et maladie mentale est un mythe bien documenté. Plusieurs études ont démontré que la vaste majorité des personnes avec des diagnostics de maladie mentale ne représentent pas plus de danger envers autrui que les citoyens sans diagnostic formel.
J’ai travaillé pendant quelques années avec des familles qui ne pouvaient voir leurs enfants que sous supervision, le plus souvent, en raison de signalements à la protection de la jeunesse ou d’une séparation de couple très difficile entre les parents. Mon rôle était d’assurer cette supervision lors des visites familiales. Un jour, en raison d’une erreur de communication de mon équipe, une mère n’avait pu voir sa fille. C’est moi qui ai été chargée de lui communiquer la malheureuse nouvelle. La mère s’est aussitôt mise à me crier après. Lorsque je suis sortie de la pièce, toute mon équipe m’a sermonnée comme quoi j’étais restée beaucoup trop longtemps dans la pièce, que c’était dangereux, que cette mère aurait pu me frapper et j’en passe.
Peut-être.
Or, je n’ai pas été frappée. J’étais peut-être naïve, mais je ne me suis jamais sentie en danger pendant toute cette interaction qui a duré de nombreuses minutes. Ça n’a rien changé à la finalité de la situation, mais j’ai été capable de percevoir la colère, ou plutôt la détresse d’une mère qui souffre d’être séparée de son enfant. D’autant plus qu’elle n’avait pu la voir ce jour-là par une erreur de communication de notre part comme organisation.
Malgré le malaise quasi-automatique qu’elle suscite, la colère des femmes est un passage obligé même pour accéder à la dignité et au respect de ses droits, particulièrement quand ça fait très longtemps que ceux-ci ont été bafoués sans aucun scrupule. En ce sens, elle peut s’avérer salvatrice.
Il arrive même que des experts (policiers, travailleurs sociaux, psychologues et j’en passe) n’y voient que du feu, produisent des plaintes croisées sur des scènes de crime ou symétrisent en rendant faussement équivalents les comportements de la victime avec ceux de l’agresseur.
Pourquoi? Parce que nous concevons encore qu’une femme qui est victime ne se fâche jamais et est tout simplement passive ou soumise. Une véritable caricature, car la réalité de subir de la violence (sexuelle et/ou conjugale) est beaucoup plus complexe au plan psychique, émotionnel et comportemental.
Les sources de la non-empathie envers la douleur des femmes
Il y a plusieurs facteurs qui influencent la capacité à ressentir de l’empathie (ou pas) envers un autre être humain.
D’abord, si une femme appelle à l’aide à plusieurs reprises, le réflexe est de penser qu’elle crie au loup. Au lieu de voir que si la personne insiste sur un point, c’est parce qu’elle n’a pas été entendue ni soutenue la première fois qu’elle a parlé. Ensuite, si une femme est perçue comme ayant beaucoup de privilèges ou de capital, le réflexe est de « hiérarchiser » sa douleur et de la juger moins légitime que celle d’autres personnes qui ont en apparence moins, alors qu’elle peut être absolument urgente à mort à régler. De plus, si une femme a un diagnostic psychiatrique à son dossier, celui-ci peut invoqué pour dire qu’elle « fabule » ou « raconte des histoires » ou qu’elle a tout simplement « besoin de repos » alors qu’il est tout à fait possible d’avoir un diagnostic psychiatrique et de raconter des expériences qui sont ancrées dans des choses qui se sont réellement produites. C’est ce qu’on appelle la stigmatisation de la maladie mentale.
À titre d’exemple, ce n’est pas parce qu’une personne avec un diagnostic de schizophrénie se présente à l’urgence avec une crainte d’avoir un cancer du sein que forcément, cette crainte est imaginaire. Il faut prendre la peine d’évaluer la personne en lui parlant directement (et non par personne interposée) avec ouverture et curiosité pour en avoir le cœur net. Il est possible d’avoir à la fois un problème de santé physique ET de santé mentale. Sauter trop rapidement aux conclusions en raison de nos préjugés mène inévitablement à des erreurs médicales, voire à des violations de droits humains qui parfois peuvent avoir de lourdes conséquences.
Santé mentale, droits humains et déterminants sociaux
Plusieurs organismes et auteurs parlent des problèmes de santé mentale sous le prisme de droits humains ayant été bafoués par l’État. Plus concrètement, cela signifie qu’il est aisé de développer des problèmes de santé mentale quand nos besoins sociaux, affectifs, intellectuels, physiques, sexuels, spirituels, familiaux et j’en passe ne sont pas comblés. Ces besoins ont particulièrement été mis à rude épreuve dans le contexte de la pandémie de COVID-19. D’autres spécialistes parlent des déterminants sociaux de la santé mentale, comme le revenu ou le niveau d’instruction, la situation sociale, le genre, la culture, le soutien social, les facteurs biologiques et j’en passe.
Or, tous ces éléments sont des facteurs et non des garanties absolues de développer (ou pas) ou pas des enjeux de santé mentale. Au final, un être humain qui exprime sa douleur, c’est un être humain qui a mal. Ce point en soi devrait être suffisant pour porter assistance sans obliger la personne à devoir se répéter. Dans l’ordre actuel des choses, il faut un diagnostic – parfois donné à la va-vite – pour avoir accès à certains services, ce qui est un effet à double tranchant de la psychiatrie et de notre système de santé au Québec, en raison de la stigmatisation rattachée à certains diagnostics.
Il faut tout simplement lui parler et l’écouter directement, avec ouverture et curiosité, en faisant fi de la cacophonie ambiante (souvent complètement erronée) des préjugés et de la stigmatisation de la maladie mentale.
À vrai dire, je ne comprendrai jamais notre tendance collective à nous précipiter à marcher pour des morts sans porter attention aux personnes vivant toujours parmi nous. On ne peut rien faire pour des morts si ce n’est que de les enterrer. Or, on peut faire beaucoup pour les vivant.es.
Pourtant, nous reproduisons ce cycle en boucle, à l’infini, tout en nous disant naïvement qu’à chaque suicide, qu’à chaque féminicide, ce sera la dernière fois et plus jamais cela ne se reproduira. En ce sens, c’est notre société qui devrait faire un solide examen de conscience plutôt que de reporter la responsabilité individuelle sur la psyché soi-disant troublée des femmes. C’est à mon sens là que réside la véritable folie. Une folie où l’on espère un résultat différent en usant des mêmes vieilles stratégies qui donnent bien peu de résultats. En ce sens, cette folie est collective et sociale. Au final, le bon diagnostic à poser selon moi est le manque d’écoute, le manque d’empathie et le je-m’en-foutisme systémiques.
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