Les changements requièrent que les policiers et les procureurs envisagent à diriger certains contrevenants vers des programmes de traitement, plutôt que de porter des accusations en cas de possession simple de drogue illégale. Le juge pourra imposer une peine qui tiendrait compte des faits de l’affaire et du « racisme systémique vécu par le contrevenant et de la menace que celui-ci représente pour la sécurité publique. »

En prenant connaissance de ce virage, une image forte s’impose à moi, celle de Billie Holiday, Lady Day. Comment accueillerait-elle un tel changement? Les larmes lui embrumeraient sûrement les yeux, elle qui a été incarcérée pour sa consommation de drogue. Si une telle loi avait existé, loi qui aurait tenu compte du contexte social intersectionnel du racisme, il est à parier que sa vie aurait été fort différente.

Je la vois. La mémorable élégance de cette femme noire dont les coiffures étaient ornées de gardénias blancs m’éblouit encore. Sa voix. La voix de Lady Day empreinte d’émotions puissantes a marqué le Jazz et continue de nous envoûter. Cette voix qui témoigne non seulement de l’histoire de son peuple, mais aussi de la sienne. Violée à dix ans; pour survivre, elle et sa mère ont dû se prostituer. C’est dans ces circonstances que l’héroïne a croisé sa route.

Tragique destinée que celle de Lady Day. Tragédie à laquelle le racisme n’est pas étranger.

Confrontée au racisme, Lady Day l’a été encore et encore. Les attaques à sa dignité étaient monnaie courante. Alors qu’elle était la tête d’affiche de spectacles, elle devait emprunter l’entrée de service. La grande porte lui était interdite : elle était noire. Elle avait toujours une réserve de nourriture avec elle, car souvent les restaurants refusaient de servir la femme qu’elle était. Que d’indignités!

En 1939, Lady Day ajouta la chanson Strange Fruit, les arbres du sud portent un fruit étrange, à son répertoire. Chanson qui témoignait des lynchages des Noirs. En choisissant de dénoncer le racisme, elle était « woke », consciente des multiples injustices et des structures oppressives du pouvoir. Par cette chanson, elle exposait les injustices et les transgressions aux droits humains des Noir.e.s. Pour ceux qui préservaient le système d’oppression des corps noirs, cette chanson était un acte de pure provocation.

Par son interprétation de Strange Fruit, Lady Day défiait le pouvoir. Son entêtement lui a couté cher, certains disent qui lui a coûté la vie.

Or, lorsqu’elle chantait cette chanson, Lady Day pensait à son père décédé à l’âge de trente-neuf ans après s’être vu refuser un traitement médical dans un hôpital « réservé aux blancs » – ce qui n’est pas sans rappeler la mort de Mireille Ndjomouo et celle de Joyce Echaquan. Elle s’entêtait à la chanter, cette chanson. Vingt ans après la mort de son père, la vie des Noir.e.s n’avait pas changé. Aucune leçon n’avait été apprise, l’histoire n’avait cessé de se rejouer.

De 1939 jusqu’à sa mort en 1959, Lady Day a été poursuivie par le gouvernement, qui se servait de sa consommation de drogue comme prétexte pour l’incarcérer. Lady Day était belle, célèbre et riche, cela n’a fait qu’augmenter l’animosité à son égard. Au cours de ces vingt années, elle a été l’ennemie publique numéro un. Pour détruire la vie de cette femme qui transcendait les stéréotypes, le gouvernement a utilisé de multiples stratégies. Elle fut persécutée pour avoir dénoncé le pouvoir et le racisme systémique.

En 1947, elle fut condamnée à dix-huit mois de prison. Par l’effet domino de cette condamnation, le gouvernement fédéral a refusé de renouveler sa licence d’artiste de cabaret. Cela a changé le cours de sa vie.

En écoutant la voix de Lady Day, je lis les propos du ministre de la Justice Lametti et j’ai la gorge nouée. Le ministre désire tourner « la page sur des approches inefficaces qui ont nui de façon disproportionnée aux Autochtones, ainsi qu’aux personnes noires et issues de communautés marginalisées. (…) Conjuguées à d’autres efforts déployés à l’échelle du gouvernement, ces mesures représentent une étape importante dans la lutte pour éliminer le racisme systémique et assurer un système de justice plus efficace pour tous ».

Je souhaite, après plus de trente ans comme avocate noire, que cette fois soit la bonne et que cela ne soit qu’un début. Un changement radical de culture s’impose et les systèmes de justice criminelle, civile et administrative doivent changer.

Lady Day reste un symbole de résistance et de dignité. En me souvenant du courage de cette remarquable femme, j’essuie mes larmes et je reprends ma route.

Me Tamara Thermitus Ad.E, Mérite du Barreau (2011), a négocié le mandat de la Commission-vérité et réconciliation du Canada.