J’ai commencé ces jours-ci la lecture ponctuelle du livre Les libertadors, l’émancipation de l’Amérique latine, 1810-1830 de l’historien Jean Descola, paru en 1957 et acheté l’an dernier chez feu la librairie Olivieri, un mois avant sa tragique disparition. (Ils n’avaient qu’à vendre des calendriers de chats et des pierres à pizza Ricardo, j’imagine.)
Puis, dans le courrier, le plus récent numéro de la revue Relations propose un reportage sur l’échec de la « contre-révolution conservatrice » en Bolivie, suite au retour au pouvoir du Movimiento al Socialismo (MAS), le parti de l’ancien président Evo Morales qui, malgré qu’il ne puisse exercer un troisième mandat, en demeure le président (un peu comme le Lavalas haïtien avec Jean-Bertrand Aristide).
Et en cette journée de la Saint-Patrick, alors que je rédige cet article, j’apprends qu’un des héros de l’indépendance chilienne s’appelle…Bernardo O’Higgins, un général chilien descendant de la noblesse irlandaise.
Cosmique, je vous dis.
Renouveau impérialiste
Le retour du MAS au gouvernement en Bolivie sonne donc le glas du gouvernement intérimaire de Jeanine Áñez, soutenu principalement par l’armée et les États-Unis. Sous son règne, la Bolivie s’est jointe au Groupe de Lima, créé principalement pour « régler la crise vénézuélienne », ce qui se traduit unilatéralement par une volonté de changement de régime, préférablement avec un pantin comme Juan Guaido. Une incarnation de la doctrine Monroe version 21e siècle.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit – le retour des velléités impérialistes ouvertes des pays du Nord en Amérique latine après la déferlante socialiste à l’échelle du continent à l’aube du 21e siècle, pendant que l’Empire pointait plutôt ses canons vers l’Asie du sud-ouest et le Moyen-Orient.
Pour les USA et ses alliés, pas question de perdre le contrôle de la cour arrière! Après les débâcles militaires en Afghanistan et en Irak et le coup d’État qui a transformé la Libye en No man’s land digne d’une dystopie post-apocalyptique (comme la Syrie, d’ailleurs), l’attention de Washington s’est de nouveau tournée vers le sud – Amérique latine et Caraïbes. Pendant qu’émergeait l’insurrection irakienne (quelques mois après que George W. Bush ait déclaré « Mission Accomplished » dans une mise en scène qui aurait pu être dirigée par Leni Riefenstahl), un coup d’État soutenu en douce par l’axe Washington-Ottawa expulsait le président Aristide du pouvoir en Haïti. Dès le début des années 2000, le régime Bush-Cheney entamait des mesures pour forcer la chute du gouvernement d’Hugo Chavez, à la tête d’une puissance pétrolière qui échappait désormais au contrôle des barons de l’énergie.
Pendant ce temps, Chavez créait le fonds Petrocaribe pour stimuler l’économie des pays pauvres des Caraïbes, Haïti au premier chef (ce qui a fini par mener à un scandale aux proportions bibliques!) En 2014, la Maison-Blanche d’Obama, entre deux frappes de drones en Somalie ou au Yémen, imposait des sanctions contre le successeur de Chavez, Nicolas Maduro, au nom de la lutte contre la corruption politique et les violations des droits de la personne. Assez riche, provenant d’un pays dont la Cour Suprême a, en 2010, consacré de façon permanente le financement illimité et confidentiel des campagnes électorales avec l’arrêt Citizens United v. FEC, où la haute finance s’est vue absoute de ses crimes odieux qui ont mené à la crise économique de 2008 et où les inégalités socio-économiques et le racisme systémique continuent à ce jour de briser les âmes les plus désoeuvrées. Mais bon, l’extrême-centre mou préfère insister sur des avancées cosmétiques qui se révèlent finalement désastreuses pour une multitude de femmes, d’hommes et d’enfants démuni.e.s et victimes de la suprématie blanco-patriarcale.
Alors se sont poursuivis les tentatives de coups d’État, les sanctions meurtrières et les procès-cirques. Au Brésil, exit la résistante de longue date Dilma Roussef à la faveur de Michel Temer, ex-envoyé spécial à Washington et informateur de la CIA. Lula a pris le chemin des geôles après un procès fantoche. Puis, en 2019, l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, une grenouille de bénitier à la solde des destructeurs de l’Amazonie, partisan de la dictature militaire déchue en 1985 et déterminé à faire du Brésil une annexe de l’empire Trump.
On pourrait continuer encore longtemps – je n’ai même pas encore abordé les cas du Chili et de l’Argentine ni de la Colombie, devenue la base d’opérations de l’Empire du Nord.
Chercher le vent de la résistance
En Bolivie, le parti des paysan.ne.s et des autochtones est de retour au pouvoir. Au Brésil, Bolsonaro répondra de ses actes devant l’électorat en octobre 2022. En Haïti, la révolte populaire contre le gouvernement corrompu de Jovenel Moïse se poursuit dans le sang et les appels du peuple qui resteront ignorés par Washington et Ottawa.
Le PQ, lui, continue de faire semblant de lutter pour l’indépendance avec, à sa tête, un autre avocat arriviste d’extrême-centre, comme s’ils n’avaient rien appris avec André Boisclair. Quand je dis « faire semblant », j’inclus le refus du parti de repenser le projet d’indépendance à l’aune du 21e siècle, des mouvements antiracistes et des luttes d’auto-détermination autochtones, préférant faire la cour aux nationaleux et laisser des conservateurs ultramontains leur souffler dans l’oreille.
Et le vent du sud, qui charrie les appels à la résistance anti-impérialiste, n’atteint malheureusement pas nos terres. On préfère encore suivre l’OTAN et nier notre syndrome de Stockholm envers la France.
Vivement un ouragan.