Un ancien collègue de travail à qui je n’avais pas parlé depuis près de 7 ans m’écrivait frénétiquement exactement au même moment. J’ai tout de suite compris qu’il était en crise suicidaire. J’ai décidé de faire ce qu’il faut faire quand quelqu’un est au plus bas : reconnaître son humanité. Je ne dis pas ça pour me faire lancer des fleurs. Reconnaître l’humanité d’un être humain, c’est franchement la base. Et ça change tout en même temps parce que c’est plutôt rare.

Quand quelqu’un prend la peine de demander quelque chose, c’est parce que la personne a besoin de quelque chose. Point barre. C’est même à honorer, ça veut dire que la personne a décidé de ne pas se gaslighter elle-même, ce qui est aussi rare.

Même si j’étais triste de voir un être humain dans cet état, je me suis dit « ah, enfin de la vérité dans ce monde de fausse parure ». Je lui ai parlé pendant environ une heure, gros max. Puis quand j’ai senti qu’il était tiré d’affaire, je suis retournée me coucher. Aujourd’hui, il va mieux. Il s’entraîne tous les jours, au point de ne plus trop donner de nouvelles, parce que ça va bien. J’ai fait ce que j’avais à faire, tout simplement, et ce, sans artifices, tambour, ni trompette : j’ai été gentille.

Malheureusement, dans notre société, être gentil est tellement rare que c’est automatiquement vu comme une stratégie louche de carriériste.

Je disais la semaine dernière que je ne comprends pas les mœurs de la société occidentale. Je porte les idéaux des révolutionnaires haïtiens tous les jours de ma vie. Je plaide pour une culture d’humanisation des êtres humains, comme le disait l’historien et politologue Frantz Voltaire à Radio-Canada cette semaine. Je rêve d’une humanité qui s’humanise. J’ose même aller plus loin : ce dont le Québec a besoin, c’est d’une Révolution tranquille digitale, une Révolution tranquille 2.0.

Une crise de santé mentale sans précédent

Malheureusement, au cours de l’année 2020, de nombreux visages de personnes décédées par suicide défilaient sur les réseaux sociaux. Ces visages ne défrayaient pas forcément la manchette. Récemment, un sondage Léger commandé par l’Union étudiante du Québec révélait que 81% des universitaires vivent un niveau élevé de détresse psychologique, ce qui comprend des idées suicidaires et des tentatives de suicide.

À chaque fois qu’on répond à quelqu’un « je n’ai pas les ressources », en gros, ce qu’on répond en réalité, c’est « ta douleur me rappelle beaucoup trop la mienne », « j’ai un complexe d’infériorité par rapport à toi » ou « je suis désolée que la société capitaliste me vole le temps que j’aimerais passer avec toi ».

Je ne comprends pas comment « délestage » ne peut pas sonner comme « violations de droits humains et utilisation de la COVID-19 comme échappatoire ». Une société où les morts s’empilent comme des numéros sans histoire.

Même des professionnels de la santé, des intervenant.es sociaux, tant dans le communautaire, que le privé qu’au public, disent ne pas avoir les ressources. Et ce, bien avant la pandémie. Je parle en connaissance de cause : j’ai travaillé et gravité dans ce système. Ça fait longtemps que nombre d’entre nous sonnent l’alarme. Notamment, l’essai Les libéraux n’aiment pas les femmes d’Aurélie Lanctôt, publié en 2015, a brillamment expliqué comment l’austérité et le néolibéralisme ont sabré dans le filet social des Québécoises et Québécois. Sans grande surprise, les femmes sont encore et toujours les grandes perdantes de la pandémie de la COVID-19, notamment parce qu’elles occupent des métiers du soin et tiennent en grande partie notre modèle économique à bout de bras. C’est d’autant plus le cas pour les femmes afrodescendantes et racisées, très nombreuses parmi les préposées aux bénéficiaires.

Tout comme les vétérans ont eu besoin de soutien psychologique après être allés à la Guerre, ce sera également le cas pour de nombreux membres du personnel de la santé et des services sociaux qui sont littéralement dans un contexte de guerre contre la pandémie.

Des guerrières et guerriers qui ont eu à faire des choix difficiles sur le plan humain. Ce n’est pas à minimiser ou à sous-estimer. Aucun être humain n’est immunisé contre la fatigue de compassion. Nous en avons eu une autre preuve récemment avec des intervenantes de la DPJ qui se sont enlevées la vie, usées à l’os par les différentes facettes de notre système.

Être adapté à un système malade

Je me souviendrai toujours d’une superviseure de stage en milieu hospitalier qui a insinué que je n’avais pas ce qu’il fallait pour être travailleuse sociale. Je suis une personne qui se lève toujours du bon pied et qui est toujours d’attaque pour la journée. Lors de ce stage, je me levais de plus en plus de reculons. J’ai décidé de changer de milieu de stage en milieu d’année, car je me reconnaissais plus. J’y vois là un acte de préservation de soi même si j’avais choisi un milieu de stage hors de mes intérêts habituels, et ce, pour apprendre. L’année suivante, cette superviseure a fait vivre le même calvaire à une collègue de classe dont le père était mourant. Quelques mois après ce stage, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec m’a remis le prix « Relève ». Aujourd’hui, je réalise que cette superviseure de stage a été brisée par le système.

La même dynamique existe également en milieu communautaire. Mélanie Ederer, une étudiante à la maîtrise en travail social a courageusement dénoncé ces pratiques dans sa lettre ouverte « L’envers du communautaire » l’an dernier. Lors d’un stage au cégep dans un organisme communautaire pour femmes, j’ai vu une quinzaine d’employées tomber comme des mouches, en congé maladie, les unes après les autres, au cours de la même année. Je rasais les murs pour éviter de me mêler à la violence psychologique dont ces femmes faisaient preuve entre elles. Me voyant bouleversée par un profond inconfort dans cet environnement, ma superviseure de stage de l’époque m’avait dit « C’est normal que tu ne te sentes pas bien. Tu es saine. Tu ne carbures pas à la toxicité » avant de me donner la note de passage, haut la main.

Je me souviens aussi des intervenantes qui exprimaient à répétition préférer « crever que de vieillir au Québec » devant moi, qui était alors dans la jeune vingtaine.

Repenser le modèle québécois

Je plaide pour que l’on repense notre sens commun et nos utopies collectives. C’est maintenant ou jamais le moment de le faire.

Il n’existe pas des « victimes de tout ». Il n’y a que des gens ayant la capacité et l’aisance à mettre des mots sur des maux pour celles et ceux qui ne peuvent le faire. C’est l’exposition à la différence qui mène à la prise de conscience de ses biais. C’est comme ça qu’on prend conscience que sa normalité n’est pas la même normalité pour d’autres, même si l’Autre est notre voisin. Ce n’est pas être victimaire de réclamer mieux – victime, un autre mot récupéré par la droite, comme le mot « woke », alors que le terme sert tout simplement à dénoncer une injustice pour laquelle on n’est pas fautif–, c’est participer au projet social et être investi envers sa société.

Pendant que notre premier ministre se donne un 10 sur 10 pour l’un des pires bilans de la COVID-19 par habitant au Canada, tout ce que je vois au fond de mon cœur, c’est une Amérique qui pleure. Mais entre ses nuits de larmes, les jeunes et moins jeunes bâtissent le Québec de demain. Ils transforment déjà notre sens commun au présent. Ainsi, j’ai pleinement et entièrement confiance en la génération Z.

Pour du soutien psychologique pour vous ou un proche :