Le centre de tri a recensé, selon la section locale du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) une centaine de cas de Covid-19 depuis le début de la pandémie. Selon des travailleurs interrogés, il est presque impossible de garder une distance physique sécuritaire sur le plancher bourdonnant, et le masque – rendu obligatoire le 23 novembre, quatre mois après que la plupart des lieux de travail fermés au Québec l’aient mandaté – n’a toujours pas été adopté par tous.

«Il y a à peu près 450 personnes pendant mon quart de travail, et ce n’est pas vraiment possible de pratiquer la distanciation; on nous conseille de le faire, mais c’est impossible,» dit Simon, qui trie le courrier sortant.

«Avant que le masque devienne obligatoire, ceux qui le portaient ont été traités de fous. Maintenant, la pression sociale a changé de camp, mais plusieurs personnes portent le masque tout croche et il faut que je leur demande de reculer. Ça crée de la tension sur le plancher.»

Il ajoute que certains de ses collègues appuient des théories de complot selon lesquelles la pandémie n’existerait pas.

Son collègue Stéphane* a des inquiétudes similaires; à plusieurs moments de la journée, il se trouve à moins de deux mètres de ses collègues. Les masques et le désinfectant sont disponibles, mais pas toujours utilisés. «Il y a beaucoup de pression sur nous pour travailler rapidement, mais si on fait les choses correctement, avec moins de personnes à chaque station et un nettoyage plus régulier, ça va prendre plus de temps.» Il salue la démarche du STTP, qui déploie des délégués de santé et sécurité sur le plancher à chaque quart de travail pour veiller au respect des mesures, mais il s’inquiète qu’ils ne soient pas assez nombreux. Certains quarts de travail n’ont qu’un seul délégué pour surveiller plus de 400 employés. «Ils travaillent fort, mais c’est un grand plancher.»

Une plainte qui a fait bouger les choses

D’un océan à l’autre, des installations postales ont été aux prises avec des problèmes similaires; un autre grand centre de tri, le centre Gateway Est de Mississauga, a recensé 190 cas en trois semaines au cours du mois de janvier. Selon le Programme de travail d’Emploi et développement social Canada, 51 plaintes ont été déposées à propos des conditions de travail dans des installations postales entre mars et décembre 2020. Avec l’industrie du camionnage et la fonction publique, les installations postales ont été l’une des trois plus grandes sources de plaintes.

Alain Robitaille est président de la section locale du STTP pour la région de Montréal. Il partage plusieurs des mêmes inquiétudes que Stéphane et Simon, tous deux membres du syndicat. «Nous avons des volumes de courrier que nous n’avons jamais vu, et les colis prennent de la place,» dit-il. «C’est aussi très contraignant de garder son masque pendant 8, 12, 14 heures.»

Il croit toutefois qu’il est possible de faire plus au niveau des gestes barrières et de sécurité. Il «soutient absolument» la démarche d’un groupe d’employés qui a porté plainte au Programme du travail en septembre, en réponse de laquelle des inspecteurs ont été déployés sur les lieux et le port du masque a été imposé.

«[Les inspecteurs] ont exigé qu’on mette du plexiglas dans la cafétéria, qu’on distancie les sièges, et [qu’on impose] le port du masque,» dit-il. «Ce sont des choses qu’on demande depuis un certain temps, mais il a fallu l’intervention du Programme de travail avant que ce soit rendu obligatoire. En tant que syndicat, on peut faire un grief auprès de l’employeur, mais il doit passer par beaucoup de paliers. Travail Canada, eux, pourraient nous fermer demain matin.»

Postes Canada n’a pas répondu aux questions précises de Ricochet, disant dans une courte déclaration qu’ils se sont engagés depuis le début de la pandémie à collaborer avec les syndicats et les autorités de santé publique afin de rendre les milieux de travail plus sécuritaires.

L’éléphant dans la pièce

Pour Simon, il est impossible de blâmer une seule personne ou entité pour la situation difficile à Léo-Blanchette.

«Le problème vient du système au complet – comment se fait-il qu’un grand organisme du secteur public, syndiqué et surveillé, n’arrive pas à appliquer des mesures qui sont évidentes? Les lieux de travail sont en quelque sorte les éléphants dans la pièce, qui ne sont pas assez surveillés.»

Nora Loreto, journaliste et chercheure indépendante basée à Québec, surveille depuis le printemps dernier les éclosions de COVID-19 dans les milieux industriels à travers le pays. Les données sur les éclosions dans les milieux de travail ne sont pas colligées aussi systématiquement par la santé publique que les éclosions dans le milieu de la santé. Elle s’appuie sur la couverture médiatique et les lanceurs d’alerte, dont un qui l’a mise au courant de la situation à Léo-Blanchette. «Les éclosions dans les installations postales arrivent ici et là à travers le pays,» dit-elle.

«Si tu travailles dans la manutention, tu bouges beaucoup, tu décharges des camions avec plusieurs autres personnes. Surtout avec la pression des Fêtes, on demande aux gens de faire beaucoup, sans toujours leur donner la protection dont ils ont besoin.» Elle espère que les difficultés vécues par les installations postales enverront un signal aux employeurs et au public. «Les gouvernements font peur aux gens en disant qu’il ne faut pas briser les chaînes d’approvisionnement, mais il n’y a pas nécessairement un choix binaire entre ‘on ferme tout’ et ‘on ne fait rien pour la sécurité des travailleurs.’ Il faut que les différents paliers de gouvernement agissent pour garder les gens en sécurité.»

*Des pseudonymes ont été utilisés par des employés craignant des représailles de leur employeur et de certains de leurs collègues.