Dans sa livraison du 14 décembre, le Journal de l’Association médicale canadienne posait la question : «Should Canada aim for #CovidZero?» («Le Canada devrait-il viser #ZéroCovid?»). Oui, sans l’ombre d’un doute, répondaient le Dr Andrew Morris, un spécialiste en maladies infectieuses de Toronto, et d’autres professionnels de la santé.
Deux semaines plus tard, le COVID Strategic Choices Group élaborait le «Bouclier canadien», une nouvelle stratégie contre le nouveau coronavirus. Les objectifs :
- Réduire le nombre de nouveaux cas de 75% au cours de l’hiver
- Réduire à moins de 40 le nombre quotidien de nouveaux cas au Canada d’ici au 1er mai
- Permettre une ouverture plus complète de l’économie tout au long de l’été
- Maintenir des niveaux de COVID proches de zéro «jusqu’à ce qu’une vaccination généralisée fasse de ce virus un souvenir».
Au Québec, le groupe COVID-STOP envisage aussi de faire la promotion de cette stratégie. Ce collectif est dirigé par la Dre Marie-Michelle Bellon, attachée à l’unité COVID de l’hôpital Notre-Dame, et regroupe des médecins, des épidémiologistes, des ingénieurs et des scientifiques*.
«L’enjeu déterminant actuel est le choix entre la stratégie du yoyo-statu quo vs la stratégie zéro-COVID», affirme l’épidémiologiste Michel Camus, membre du collectif. Selon lui, la stratégie actuelle basée sur une succession de confinements et de déconfinements, de demi-confinements et de demi-déconfinements, de mesures de restriction strictes, puis plus souples, «éternise la pandémie et le tribut sanitaire, social, psychologique et économique».
Les tenants de la stratégie Zéro-COVID font valoir qu’il vaut la peine d’endurer des épreuves temporaires pour des gains durables. Ou, comme on dit en anglais, «short-term pain for collective gain».
Ils s’inspirent notamment de ce qui a été fait dans les pays de la zone Asie-Pacifique, et notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, deux pays qui n’ont pas décidé de simplement gérer le coronavirus et d’«aplatir la courbe» mais de carrément éradiquer la COVID.
L’exemple de l’Australie
Le 1er février, un jeune gardien qui assurait la sécurité dans un hôtel qui sert de quarantaine à Perth, en Australie, a été testé positif à la COVID après avoir ressenti de légers symptômes. Perth, la quatrième ville du pays, a immédiatement imposé un confinement total. Les deux millions d’habitants ont passé la semaine cloîtrés chez eux, sans rechigner. «Un cas et confinement total : les leçons de l’Australie dans un monde frappé par la pandémie», a titré le New York Times.
C’était le premier cas dans cet État de l’Australie de l’Ouest depuis 10 mois. Les équipes de traçage ont immédiatement testé les personnes qui vivent avec le gardien de sécurité. Même s’ils étaient négatifs, ils les ont placées en quarantaine dans un centre géré par l’État. Les traceurs ont aussi identifié une douzaine de lieux où le gardien aurait été en contact avec d’autres personnes.
Perth n’est pas une exception. A Sydney, 5 millions d’habitants, quelques cas ont été trouvés avant Noël. La ville a fermé ses plages et ses habitants n’ont pas pu aller dans d’autres régions. Aucun cas de transmission communautaire n’a été observé au cours des deux semaines suivantes. A Brisbane, qui compte 2 millions d’habitants, dès qu’un cas de variant britannique a été découvert, l’État a tout fermé pendant 12 jours.
Les Australiens acceptent de bonne grâce les confinements radicaux parce qu’ils savent que ça fonctionne et qu’il vaut mieux endurer des privations pendant quelques jours pour pouvoir non seulement limiter le nombre de malades et de morts, mais aussi pour pouvoir ensuite reprendre une vie normale.
L’Australie compte 909 morts depuis le début de la pandémie, moins que le nombre moyen de morts quotidien aux États-Unis ou au Royaume-Uni par jour. Toutes proportions gardées, c’est 15 fois moins de morts qu’au Canada.
L’Australie a imposé les quarantaines aux voyageurs dès le mois de mars. Elle a strictement limité les déplacements entre les régions. Elle a maintenu un fort système de traçage. Résultat de ces actions radicales et rapides : les Australiens vivent une vie presque normale. Les bureaux et les restaurants sont ouverts. Les rassemblements sont permis. Dès le 8 février, à moins d’un changement de dernière heure, 30 000 amateurs de tennis pourront assister chaque jour à l’Australian Open à Melbourne.
La Nouvelle-Zélande au 1er rang, le Canada au 61e
Un think tank australien, le Lowy Institute, a dressé le palmarès de la COVID dans 100 pays. L’Australie arrive au 8e rang des pays qui ont le mieux géré la pandémie, la Nouvelle-Zélande au 1er rang… et le Canada au 61e rang. Étant donné que la moitié des cas et des décès au Canada sont survenus au Québec, le Québec se retrouverait assurément en queue de peloton s’il était un pays.
Dès le départ, la Nouvelle-Zélande a visé l’élimination totale du coronavirus. Le pays, qui compte 5 millions d’habitants, déplore 25 décès. Le Québec en compte près de 10 000 pour une population à peine deux fois plus nombreuse. Taïwan, qui compte 24 millions d’habitants, déplore 8 décès; le Vietnam, 35; la Thaïlande, 79.
Bien sûr, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des îles. Mais pas le Vietnam, la Thaïlande ou la Corée du Sud. La principale explication de leur succès, c’est qu’ils ont fermé les frontières dès le mois de février. Ensuite, ils n’ont pas hésité à agir de façon stricte, souligne une recherche du Swiss Policy Research intitulée «The Zero-Covid Countries».
Au Québec, la première vague a été provoquée par les voyageurs revenant de l’étranger, notamment après la semaine de relâche. Maintenant, le risque qui nous pend au bout du nez, c’est que le nouveau variant britannique, beaucoup plus contagieux et possiblement plus mortel, se répande comme une traînée de poudre. Les Centers for Disease Control (CDC) américains estiment que le nouveau variant pourrait devenir dominant aux États-Unis avant la fin de l’hiver. Il y a peu de chances qu’on y échappe ici aussi, à moins de fermer complètement les frontières, tant internationales que nationales, et d’augmenter de façon significative le traçage et la surveillance des quarantaines.
Le nouveau variant britannique a déjà fait son apparition au Québec. Une étudiante arrivant de Grande-Bretagne n’a pas écouté les consignes de quarantaine et est allée visiter des membres de sa famille à Montréal et en Estrie. Résultat : elle a transmis ce variant à trois autres personnes. On ignore pour l’instant quelle est l’étendue du variant au Québec.
Non seulement les quarantaines sont-elles très peu surveillées, mais le traçage est pour le moins déficient. Les témoignages abondent en ce sens. Parmi eux, celui d’une infirmière à la retraite, qui a travaillé toute sa vie en santé publique, et qui a offert ses services pour faire du traçage à Montréal de façon bénévole. La Direction de la santé publique n’a pas voulu lui fournir un ordinateur plus performant que son vieil appareil et a donc refusé ses services…
Le mouvement #COVIDzero signale qu’au Canada même, les provinces de l’Atlantique et le Nunavut ont fait bien mieux que le Québec, l’Ontario et le reste du pays. Une collaboratrice de Ricochet a décrit comment Terre-Neuve a pris le taureau par les cornes. Le mot d’ordre de l’hygiéniste en chef : action rapide. Résultat : la province déplore 4 décès. Aucun à l’Ile-du-Prince-Édouard, 18 au Nouveau-Brunswick, 65 en Nouvelle-Écosse. Le Nunavut interdit l’entrée de non-résidents et exige que ses résidents qui reviennent sur le territoire subissent une quarantaine de 14 jours dans des lieux désignés, aux frais du gouvernement. On y déplore un seul décès depuis le début de la pandémie.
Des mesures strictes
Les partisans de la stratégie Zéro Covid croient qu’il est possible de réduire le nombre de nouveaux cas à presque rien d’ici au mois de mai en imposant les mesures suivantes :
- Fermeture presque totale des aéroports
- Quarantaine obligatoire et surveillée des quelques personnes qui continueraient d’arriver de l’étranger
- Limitation stricte et surveillée des déplacements au sein du Canada, et au sein même des provinces
- Des tests beaucoup plus étendus
- Un traçage des contacts beaucoup plus systématique
- Isolement total et surveillé des personnes infectées et de leurs contacts, éventuellement dans des zones désignées (comme au Nunavut)
Si les nouveaux variants plus infectieux britannique, brésilien, sud-africain ou autres commencent à se répandre, certains croient qu’il faudra envisager un confinement au moins aussi strict que celui qui avait été décrété à la mi-mars, avec fermeture des lieux de travail, des commerces et des écoles. On se rappelle qu’en avril, l’Institut national de santé publique avait mis le gouvernement en garde contre une réouverture précipitée des écoles, soulignant que les enfants pouvaient devenir d’importants propagateurs du coronavirus. Ce retour «risque de provoquer une forte augmentation de la maladie dans la population adulte», indiquait l’INSPQ. Ce qui était vrai en avril le sera très certainement encore si les nouveaux variants se propagent.
Contrairement à ce que prétendent les signataires de la Déclaration de Great Barrington et autres partisans du laisser-faire, les mesures radicales ne nuisent pas à l’économie. C’est le contraire qui est vrai. Elles aident l’économie, qui peut recommencer à fonctionner normalement une fois le coronavirus éliminé, ou presque éliminé. Enfin, cette stratégie, efficace, est beaucoup moins délétère pour la santé mentale des citoyens, qui cessent d’être ballotés entre espoir et désespoir.
• Par souci de transparence, je signale que j’assiste aux réunions de la coalition COVID-Stop (je n’y occupe aucune fonction de direction ou de coordination). On pourra écouter mon entrevue accordée le 4 février à Geneviève Pettersen, sur QUB Radio, à propos de la stratégie Zéro-COVID.