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Le 8 janvier, Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation, et le Dr Richard Massé, conseiller médical du gouvernement, ont affirmé que le déploiement de purificateurs ne pouvait être recommandé dans les classes, et que ces appareils peuvent constituer un «danger» pour les élèves s’ils sont mal installés. «COVID-19 : Non aux purificateurs d’air dans les écoles», titrait le Journal de Québec le lendemain, relayant correctement leur message.

«L’efficacité des dispositifs de filtration n’a pas été démontrée au regard de la transmission de maladies infectieuses en milieux résidentiels ou institutionnels. Ainsi il n’est pas possible de savoir si l’utilisation de tels dispositifs permet une diminution de la transmission d’agents pathogènes qui pourraient se transmettre par aérosols», soutient le rapport rédigé par le Groupe d’experts concernant la ventilation et la transmission de la COVID-19 en milieu scolaire et en milieu de soins.

«De plus, lorsque la ventilation est adéquate, ces dispositifs sont inutiles et même potentiellement risqués, pouvant nuire au bon fonctionnement des systèmes de ventilation en place. Enfin, ils peuvent générer des courants d’air importants qui peuvent être problématiques, notamment en favorisant la dispersion d’aérosols de plus grande taille à distance et l’altération des flux d’air si un système de ventilation mécanique est déjà en place.»

Lors de la conférence de presse, le Dr Massé, qui a dirigé le groupe d’experts, en a rajouté une couche. «Même si beaucoup de gens en ont parlé, ce n’est pas une recommandation du groupe d’experts […] Mettre un appareil dans une classe, ça ne marche pas. C’est un faux sentiment de sécurité. Il faudrait qu’il y en ait proche de tout le monde.»

Ces propos ont fait bondir Shelly Miller, professeur de génie mécanique à l’Université de Colorado Boulder et reconnue comme une des plus grandes sommités mondiales sur la transmission par aérosols. «C’est presque comme si cette déclaration [du Dr Massé] provenait d’un Twitterbot anti-science conçu pour augmenter la transmission de la CoV-2», a-t-elle tweeté. Elle a souligné que les CDC (Centers for Disease Control) et l’EPA (l’Agence de protection de l’environnement) des États-Unis recommandent l’installation de purificateurs lorsque la ventilation est inadéquate. Mais compte tenu de la situation politique aux États-Unis, les Canadiens ont peut-être tendance à se méfier de tout ce qui vient du sud de la frontière, a-t-elle ironisé.

Or, les scientifiques américains ne sont pas les seuls à se montrer favorables aux purificateurs d’air. Dans leur lettre appelant les autorités à reconnaître l’importance de la transmission du virus par aérosols, 363 experts du Québec et de tout le Canada ont indiqué que les purificateurs doivent faire partie de l’arsenal de lutte contre la COVID-19. Un point de vue maintenant entériné par l’Agence de santé publique du Canada.

«Lorsqu’ils sont correctement utilisés, les dispositifs portables de filtration de l’air équipés de filtres à haute efficacité pour les particules de l’air (HEPA) ont démontré qu’ils pouvaient contribuer à réduire la concentration de particules fines et par extension probablement les virus dans l’air», note l’Agence dans son document intitulé «COVID-19 : Guide de ventilation des espaces intérieurs pendant la pandémie».

«L’utilisation de ces dispositifs pourrait être considérée comme une mesure de gestion complémentaire dans les situations où il n’est pas possible d’améliorer la ventilation naturelle ou mécanique», ajoute l’Agence.

Nulle part il n’est question d’un quelconque «danger». L’efficacité des purificateurs contre le nouveau coronavirus n’a pas encore été démontrée, ajoute l’Agence, mais il est raisonnable de croire qu’ils peuvent être utiles. Il n’y a donc aucune raison de ne pas y avoir recours lorsque la ventilation est inadéquate.

C’est aussi le point de vue du Bureau de la conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer. «[…] on peut s’appuyer sur de nombreuses recherches concernant l’utilisation d’appareils portatifs de filtration de l’air pour réduire la transmission de la maladie», notait un rapport du Bureau diffusé en septembre. Concernant la soi-disant dangerosité de ces purificateurs, Mme Nemer a souligné que les couteaux de cuisine sont eux aussi des objets dangereux. Il suffit de bien les utiliser pour couper les légumes plutôt que ses propres doigts…

«Dans les circonstances où la ventilation ne peut pas être améliorée par le système de chauffage, de ventilation et de conditionnement d’air (CVCA) du bâtiment, d’autres options pourraient être utiles pour réduire les aérosols en suspension dans l’air, comme […] l’utilisation d’appareils portatifs de filtration d’air», ajoute le rapport de la conseillère scientifique.

Les propos du Dr Richard Massé sur les «dangers» des purificateurs rappellent des propos semblables tenus au début de la pandémie par le Dr Horacio Arruda, directeur de la santé publique, à propos des masques. On se souvient aussi que Mona Nemer avait critiqué le manque d’information en provenance du Québec quant à la stratégie de dépistage. Le Dr Arruda avait alors dit en substance que Mme Nemer devait se mêler de ses affaires. «Je considère que je n’ai pas à rendre de comptes à cette dame», avait-il déclaré sur un mode aux limites du mépris.

Deux semaines plus tôt, le gouvernement québécois avait flirté avec la funeste stratégie de «l’immunité de groupe» (consistant à laisser la population contracter le virus dans l’espoir qu’elle finisse par s’immuniser), jusqu’à ce que Theresa Tam, la directrice de l’Agence de santé publique du Canada, fasse un rappel à l’ordre en disant que «ce n’est pas un concept qui devrait être soutenu».

La confusion semble souvent caractériser les responsables de la santé publique au Québec, et par ricochet le gouvernement. Toujours le vendredi 8 janvier, l’Institut national de santé publique publiait un rapport affirmant ceci : «À l’heure actuelle, aucune preuve directe ne démontre clairement le mode de transmission par voie aérienne avec le SRAS-CoV-2».

L’INSPQ joue probablement avec les mots en affirmant que les preuves ne sont pas «directes», mais elles n’en sont pas moins massives et irréfutables. Même l’Organisation mondiale de la santé, pourtant lente à réagir à l’évolution des connaissances, l’a reconnu il y a déjà six mois: «COVID-19 : l’OMS confirme le risque d’une transmission aérienne du virus», titrait-elle sur son site en juillet.

Flanqué par le Dr Richard Massé, le ministre Jean-François Roberge a présenté les conclusions du Groupe d’experts sur la ventilation dans les écoles en affirmant que la qualité de l’air était problématique seulement dans 3% des classes… parce qu’un niveau de 2000 parties par million de CO2 avait été détecté seulement dans 3% des classes. Mais 2000 ppm est un taux astronomique! Les experts du l’École de santé publique Harvard T.H. Chan qui font autorité en la matière, affirment qu’il faut viser un taux d’environ 700 ppm dans une classe de taille normale occupée par 15 adolescents, ce qui dénote de cinq à six changements d’air par heure, soit l’objectif pour éviter la contagion par aérosols. D’autres experts estiment qu’un taux de 800 ppm est acceptable, mais certainement pas le seuil de 1000 ppm fixé par le Groupe d’experts sur la base d’une norme établie avant la pandémie.

L’étude du Groupe d’experts pèche à plus d’un égard. Alors que 58% des écoles du Québec n’ont pas de système de ventilation, l’étude a porté surtout sur les écoles qui ont un tel système, ce qui vient évidemment fausser les moyennes. Celles-ci auraient pu être ajustées en conséquence, mais les auteurs ne se sont pas donné la peine de le faire. Pendant les cours, la moitié des classes ne disposant pas d’un système de ventilation affichaient un taux supérieur à 1000 ppm.

Envoyer les enfants en classe dans un tel environnement, c’est effectivement prendre le «risque calculé» d’accroître la transmission communautaire de la COVID-19, comme l’a reconnu le premier ministre François Legault.

Contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, la transmission se fait bien plus dans le sens «élèves vers communauté» que dans le sens inverse. Chiffres à l’appui, Simona Bignami, professeur au département de démographie de l’Université de Montréal, et ses collègues viennent de démontrer qu’à Montréal «la transmission de la COVID chez les enfants d’âge scolaire ne semble pas être la conséquence, mais plutôt un déterminant important, du niveau général d’infection dans les communautés avoisinantes». Autrement dit, les élèves s’infectent à l’école et transmettent ensuite le virus dans la communauté.

Cet hiver, alors que la majorité des écoles sont mal aérées et que le gouvernement refuse de recourir jusqu’à des mesures sans doute imparfaites mais complémentaires comme les purificateurs d’air, au mépris des avis scientifiques des experts, de l’EPA, des CDC, de la scientifique en chef du Canada et maintenant de l’Agence de santé publique du Canada, eh bien, les élèves continueront de contracter la COVID-19 et de la propager dans leur famille et leur entourage.

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