Depuis des mois, on nous répétait sans cesse que la transmission par aérosols était marginale. L’important était d’assurer la distanciation sociale, le lavage de mains, le port du masque et la désinfection des surfaces. L’aération et la ventilation des espaces publics fermés n’étaient jamais mentionnées. On apprend maintenant que c’était une erreur. Il est difficile d’admettre que l’on s’est encore une fois trompé et qu’on a encore une fois induit le public en erreur en minimisant la transmission aérienne. Au lieu de l’admettre, on tente de tout camoufler. C’est un véritable « Airgate ».
Savoir employer correctement les mots
Quand on emploie du vocabulaire savant, il faut savoir s’en remettre aux savants. Pour illustrer cela dans mes classes de philo, je me suis souvent servi d’un exemple imaginé par le collègue Tyler Burge de l’Université de Californie à Los Angeles. Un patient se rend chez son médecin et lui dit qu’il souffre de l’arthrite dans la cuisse. Le docteur lui répond aussitôt que ce ne peut être de l’arthrite puisque c’est une maladie qui affecte les articulations. La réaction normale du patient est alors de corriger le tir, d’accepter l’explication du médecin et de se mettre à utiliser désormais le mot « arthrite » correctement. Une telle propension à la déférence devrait être toujours présente de manière implicite dans l’emploi que nous faisons du vocabulaire scientifique. Nous devrions toujours être disposés de nous soumettre aux autorités compétentes. Dans l’exemple imaginé par Burge, personne ne s’attend à ce que le patient rétorque : « Dans votre idiolecte, peut-être cher docteur, mais dans le mien voyez-vous, le mot « arthrite » sert à désigner des problèmes musculaires ».
Cette déférence du citoyen lambda à l’égard du spécialiste en médecine s’applique tout autant entre experts appartenant à des domaines différents. Ainsi, l’excellent docteur Anthony Fauci admettait au début du mois d’août bien humblement avoir été corrigé par des collègues physiciens au sujet des aérosols. Alors que lui et ses collègues experts en médecine estimaient que les aérosols ne dépassaient pas 5 microns, ses collègues physiciens lui ont indiqué que les particules fines des aérosols pouvaient rester en suspension dans l’air même lorsque leur longueur atteint 100 microns.
Ainsi, Caroline Duchaine directrice de la Chaire de recherche du Canada sur les bioaérosols de l’Université Laval, entretenait des doutes au printemps 2020 au sujet de l’importance des aérosols dans la propagation du virus, mais elle émettait une toute autre opinion le 4 janvier 2021 à l’émission 24/60. C’est tout à son honneur d’avoir su amender ses propos antérieurs. Elle est animée par la soif de connaissance et non par l’orgueil. Si les plus grands savants n’hésitent pas à s’adapter et modifier leur point de vue, ceux qui le sont moins peuvent afficher plus de résistance et s’enferrer plus longtemps dans l’erreur.
Un enjeu purement sémantique?
À moins de deux mètres, on a longtemps cru que ce sont les grosses gouttelettes qui seraient surtout responsables de la transmission du virus. Lorsque les particules sont très petites et qu’elles ne dépassent pas 5 microns, elles peuvent cependant rester dans l’air longtemps, se déplacer et entrainer une propagation allant au-delà de deux mètres. Elles peuvent alors être responsables de la propagation dans un restaurant, au sein d’une chorale ou lors d’une cérémonie extérieure d’assermentation d’une juge à la cour suprême des États-Unis. Le rôle des aérosols ainsi définis demeure quand même marginal, parce que la plupart des transmissions se font en deçà de 2 mètres.
Ce n’est pas un enjeu purement sémantique. Dans le rapport émis le 8 janvier 2021 que le gouvernement avait pourtant entre les mains depuis le 9 décembre 2020, les chercheurs de l’INSPQ écrivent à la page 1:
« Alors que le virus SRAS-CoV-2 cause une pandémie à travers le monde, les connaissances scientifiques sur ses modes de transmission évoluent en continu. Or, un débat perdure sur certains aspects, plus spécifiquement en lien avec la transmission du virus par les aérosols. L’absence de consensus quant aux définitions des termes entourant la transmission d’un agent infectieux par les voies respiratoires explique en partie le débat. »
Les auteurs proposent ainsi une nouvelle définition en page ii du même document:
« Aérosols : Particules en suspension dans l’air, dont le mouvement est gouverné principalement par la taille des particules; généralement inférieures à 100 µm (traditionnellement appelées gouttelettes pour celles > 5 µm). »
Sur la base de cette nouvelle définition scientifique, et même si à leur avis « à l’heure actuelle, aucune preuve directe ne démontre clairement le mode de transmission par voie aérienne avec le SRAS-CoV-2 », les auteurs admettent quand même que « les données expérimentales et épidémiologiques disponibles soutiennent une transmission par aérosols à proximité, c’est-à-dire à moins de 2 mètres. Le risque de transmission du SRAS-CoV-2 est augmenté dans des espaces restreints, ventilés de façon inadéquate, à forte densité d’occupants et lorsque la durée d’exposition est prolongée.»
Cette admission est importante. Les gouvernements s’évertuent depuis des mois à énumérer les mesures qu’il faut prendre pour lutter contre la Covid-19 sans tenir compte du problème posé par les aérosols. On parle de la désinfection des surfaces, du lavage de mains, de la distanciation sociale et du port du masque. À cette liste, il faut maintenant ajouter l’aération et la ventilation des espaces publics fermés.
Voilà enfin que, pour la première fois, le gouvernement est appelé par l’INSPQ à reconnaître l’importance de la transmission par aérosols et l’importance de l’aération et de la ventilation dans les espaces publics fermés. La rhétorique du docteur Arruda s’écroule encore une fois!
Une opération camouflage
On pourrait dire que c’est la gouttelette qui fait déborder le vase! La Direction de la santé publique (DSP) a induit la population en erreur en répétant constamment que les aérosols constituaient un facteur marginal de transmission.
On a donc eu droit à un tour de passe-passe dans les communications en provenance des autorités publiques. À 46 minutes 25 secondes du point de presse de mercredi 6 janvier 2021, un journaliste pose la question au Premier Ministre au sujet de la transmission par aérosols et la nécessaire aération et ventilation des espaces publics fermés. La question est une patate chaude pour le PM et il la refile au docteur Arruda, qui a depuis des mois minimisé l’importance des aérosols.
Au lieu de mentionner les conclusions du rapport qu’il a entre les mains depuis le 9 décembre, le directeur de la santé publique répond que ce rapport sera présenté dans quelques jours sans en dire plus. C’est seulement à l’occasion d’une présentation par le ministre de l’éducation M. Jean-François Roberge, le 8 janvier, que le rapport a enfin été rendu public.
La contribution du ministre de l’Éducation
Le ministre de l’Éducation a à son tour tenté de minimiser la gravité de la situation en produisant une autre étude parallèlement à celle de l’INSPQ. Il dit avoir mené des tests de détection de CO2 dans 1369 classes de 330 établissements scolaires (à raison d’environ 4 classes par bâtiment) pour constater que seuls 3% d’entre eux présentaient des problèmes. En moyenne, nous dit-il, les écoles ne dépassent pas une concentration de 800 particules de CO2 par million. Les 400 professionnels qui ont fait paraître au début du mois de janvier une lettre aux divers paliers de gouvernement au sujet de l’importance des aérosols, de la ventilation et de l’aération des classes n’auraient donc pas raison de s’inquiéter. Selon eux, un espace public fermé scolaire ne devrait pas dépasser une concentration de 800 particules par million. Or, ce sont justement les chiffres auxquels l’étude est parvenue. Comment le ministère de l’Éducation arrive-t-il à de tels résultats? Voyons tout cela de plus près.
On précise tout d’abord dans le document les conditions dans lesquelles les expérimentations ont été menées. Parmi les 330 écoles sélectionnées (sur les 3000 écoles du réseau), 146 bâtiments étaient ventilés naturellement (597 classes) et 184 étaient ventilés mécaniquement (772 classes). On peut lire : « Pour chacune des classes, les taux de CO2 devaient être mesurés à trois reprises durant une période de cours, soit avant le début du cours, au milieu du cours et avant la fin du cours. » Il y a tout lieu de se demander quels résultats auraient été obtenus si les captations de CO2 avaient été effectuées en début de journée, vers midi et en fin de journée, étant donné que les élèves ont été pendant toute cette période ensemble dans la même bulle de classe. Mais passons.
On apprend ensuite qu’« on a également demandé aux responsables de la mesure d’ouvrir la fenêtre pendant 20 minutes avant de prendre la troisième mesure dans les classes ventilées naturellement»! Et pourtant, à combien s’élève le nombre de classes réelles dans lesquelles on procède effectivement de cette façon? Je crois ne pas me tromper en avançant le chiffre 0.
Les auteurs du rapport signalent cependant que « les fenêtres sont restées fermées dans 100 classes ventilées naturellement, pour diverses raisons, incluant des facteurs humains et climatiques », mais on précise ensuite que « les classes dans lesquelles les fenêtres n’ont pas été ouvertes ont été exclues pour le calcul des résultats moyens obtenus lors de chacune des mesures ». Autrement dit, on exclut du calcul toutes les classes réelles ventilées naturellement, car il n’y a sans doute pas d’écoles dans lesquelles on ouvre les fenêtres en plein hiver vingt minutes avant la fin du cours.
En réalité, si on se rapporte aux données fournies par le document du ministère, 37,2% des classes ventilées naturellement (222 classes) révèlent une concentration de 1000 particules ou plus par million pour la 3e captation, et ce, qu’elles aient été aérées avant ou non. Les cent classes qui n’ont pas été aérées 20 minutes avant la fin du cours atteignent un taux moyen de 1143 particules par million à la 3e captation, soit plus de 300 particules au-dessus du maximum autorisé.
Comment peut-on alors affirmer que les classes manifestent en moyenne à peu près 800 particules par million? On aurait pu s’attendre à ce que cette moyenne obtenue pour toutes les classes signifie que ces dernières n’enregistrent en général jamais une proportion dépassant 800 particules. Or, les classes ventilées naturellement enregistrent en moyenne 1094 particules par million à mi-parcours d’un cours (près de 300 particules de plus que le total autorisé) et celles qui sont ventilées mécaniquement sont en moyenne de 848 particules par million à mi-chemin dans une séance. Comment peut-on alors parvenir à la moyenne de 803 particules par million? Pour arriver à ce chiffre, les auteurs du rapport ont calculé le niveau de CO2 des trois prises, incluant celle du début au moment où les élèves ne sont pas encore en classe!
Enfin, pour parvenir au chiffre de 3% de classes posant problème, on fixe la barre à des concentrations de 2000 particules par million, soit les classes qui dépassent de 1200 particules le maximum autorisé. On peut difficilement traficoter davantage les chiffres!
Et que dire des élèves qui risquent de se retrouver dans l’une de ces écoles manifestant un taux de CO2 catastrophique? 3% peut sembler minime, mais à l’échelle du Québec, cela fait quand même une centaine d’écoles. Puisque les élèves du primaire retournent en classe le 11 janvier prochain et les élèves du niveau secondaire seulement une semaine plus tard, ceux qui retourneront dans ces cent écoles ne seront-ils pas à très haut risque? Combien de temps faudra-t-il attendre avant que des tests soient effectués dans toutes les écoles du Québec et que la situation soit corrigée dans ces écoles? Et surtout, comment se fait-il que l’étude du ministère fut terminée seulement le 22 décembre alors que les élèves sont en classe depuis le mois d’août dernier?
En somme, le rapport du ministère est le résultat d’un véritable cover up. On aurait voulu camoufler le problème de la transmission par voie aérienne dans les écoles que l’on ne s’y serait pas pris autrement. Les gens qui ont conçu ce protocole ont été complices de ce cover up. On aura donc eu droit à une opération camouflage pour éviter un camouflet.
Le ministre de la Santé mis à contribution
L’Airgate du gouvernement n’est pas seulement assuré par le Ministre Roberge. Le ministre Christian Dubé y a mis du sien. À 6 minutes 40 secondes du Téléjournal du 4 janvier au soir, Sébastien Bovet rapportait la position du gouvernement Legault au sujet du retour en classe des élèves : « On s’est aussi aperçu que, pendant les fêtes pendant que les écoles étaient fermées, le nombre de cas chez les élèves n’a pas nécessairement augmenté beaucoup. Alors on pense que l’école n’est pas un problème, mais que le problème, c’est plutôt ce qui se passe à l’extérieur de l’école. »
Mercredi le 6 janvier, lors du point de presse quotidien, le ministre Dubé brandissait à la 44e minute un graphique servant en effet à démontrer que, pendant la période des fêtes, la propagation du virus s’est déployée chez les personnes de 20 à 64 ans, alors que le nombre de personnes infectées est resté le même chez les plus jeunes et les plus vieux. Cela prouverait, dit-il, que la propagation communautaire se fait surtout dans les maisons et non à l’école.
Malheureusement, le ministre néglige un fait capital. Les données qui sont les siennes font état de personnes ayant été testées positives à la suite de symptômes, ou alors de personnes les ayant côtoyées. Ces chiffres négligent le très grand nombre de personnes asymptomatiques et qui pourtant sont des propagateurs du virus. Or, dans un article intitulé « Sécuritaire la rentrée scolaire? », paru le 9 janvier, la journaliste Louise Leduc rapporte que les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis évaluent à 59 % le taux de transmissions ayant pour origine une personne ne présentant pas de symptômes.
Depuis le début de la seconde vague, on fait tout pour minimiser la gravité de la propagation dans les écoles. L’impératif d’un retour en classe l’emporte sur tout. On soutient que les élèves infectés l’ont été à l’extérieur de l’école et que le nombre de cas diagnostiqués positifs dans les écoles est relativement bas étant donné le million d’élèves présents dans les 40 000 classes du Québec. Et voilà maintenant que l’on prend pour acquis que la propagation est localisée chez les 20-64 ans alors qu’elle resterait stable chez les élèves. Tout cela néglige le fait que les jeunes sont souvent des porteurs de transmission asymptomatiques non testés. Ils peuvent donc être nombreux à l’école à porter le virus, nombreux à le rapporter à la maison et nombreux à le propager chez les plus vieux sans qu’on puisse s’en rendre compte.
Un facteur qui expliquerait nos échecs passés
La deuxième vague a déferlé malgré les mesures sanitaires déployées partout à travers le monde de la même façon : distanciation sociale, lavage de main, désinfection des surfaces et port du masque. Il doit donc y avoir des raisons scientifiques expliquant pourquoi ces mesures n’ont pas à elles seules pu empêcher la propagation du virus. Il semble que la transmission par aérosols soit en cause. Cela expliquerait pourquoi la transmission se fait surtout à l’intérieur des espaces publics fermés et beaucoup moins à l’extérieur. Elle se ferait aussi plus souvent pendant les saisons froides et moins souvent dans les saisons chaudes, lorsque les gens sont à l’extérieur ou que les fenêtres sont ouvertes, sauf si les saisons trop chaudes poussent les gens à rester à l’intérieur dans des espaces climatisés fermés. On comprendrait aussi et surtout pourquoi, lorsque la distanciation n’est pas possible, le virus peut se transmettre même si les gens portent des masques. Certaines des particules d’aérosols peuvent se faufiler au travers des masques.
Il doit y avoir des solutions autres que le confinement ou le couvre-feu. Désormais, l’INSPQ ajoute la ventilation et l’aération à la liste des mesures essentielles. Il était temps, mais il est très tard.