Le pipeline Énergie Est n’a pas non plus trouvé grâce aux yeux des Québécois. Contrairement au cliché colporté par les conservateurs, il ne s’agit pas d’un rejet du ROC. L’essence à la pompe que nous consommons provient maintenant en bonne partie des sables bitumineux de l’Alberta (54%). Nous savons qu’un pipeline sur notre territoire servirait surtout à l’exportation. Les pétrolières ont déjà bien assez de la côte ouest, non?

Cependant, nous avons assisté en 2020 à un retour marqué du lobby des hydrocarbures. La stratégie de l’industrie consiste maintenant à se faire passer pour une victime des groupes écologistes, devenus si puissants qu’ils empêcheraient toute opinion contraire de se faire valoir.

Les Greenpeace de ce monde sont désormais épinglés dans l’espace public, voués à la vindicte des animateurs de radios populistes, toujours en quête de nouvelles têtes de turc estampillées à gauche.

Martineau et Tétrault sur la même longueur d’onde

Le chroniqueur Richard Martineau, qui aime bien jouer les avocats du diable, s’est senti interpellé par cette mouvance. Il a interviewé en 2020, à deux reprises, pendant un quart d’heure, le président de l’Association de l’énergie du Québec, le nouveau nom de l’Association pétrolière et gazière du Québec. Éric Tétrault a eu ainsi tout le loisir de plaider pour la reprise de l’exploitation du gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique présent dans notre sous-sol, mais en se gardant bien de le désigner ainsi et d’expliquer en quoi il diffère du gaz naturel conventionnel.

Dans le premier entretien, tenu en février sur les ondes de QUB radio, le porte-parole de l’AEQ dénonce le « discours apocalyptique des écolos ». Il affirme que l’industrie travaille sur de nouvelles technologies pour réduire l’empreinte carbone des combustibles fossiles dont l’humanité a encore besoin. Le gaz naturel québécois aurait le potentiel de devenir le plus propre au monde, d’où l’intérêt d’en produire davantage chez nous au lieu de l’importer des États-Unis. Les profits ainsi générés pourraient même servir à financer le développement de nouvelles énergies renouvelables! Mais l’animateur ne juge pas utile de questionner plus à fond son invité pour savoir en quoi consistent exactement ces améliorations.

Le titre de la seconde entrevue, diffusée en novembre, donne le ton : « Les émissions de GES du Québec sont insignifiantes dans le monde ». Elle fait suite au dévoilement du Plan pour une économie verte du gouvernement caquiste, dont le manque d’ambition a déçu les écologistes. M. Tétrault s’en déclare pour sa part satisfait et y voit un signal encourageant pour l’exploitation des énergies fossiles.

Le pourcentage de 0,18% de GES émis par le Québec à l’échelle mondiale représente à ses yeux une part tellement négligeable que tout effort additionnel de réduction serait inutile. « 0,18%? Une goutte d’eau dans l’océan! », de commenter un Martineau ricaneur, en se moquant au passage de la jeune militante Greta Thunberg venue encourager nos manifestants pro-climat.

Pourtant, les plus récentes statistiques indiquent que notre province est responsable de 11.1% des GES émis par le Canada, lequel figure au dixième rang dans le classement des plus grands émetteurs au monde avec son modeste 1,62%. Certains parlent plutôt d’une septième place au tableau de déshonneur.

On peut s’en laver les mains en se comparant à des géants comme la Chine ou les États-Unis, mais il existe 194 pays dans le monde. Si tous ceux dont le bilan est comparable au nôtre renoncent à l’améliorer, jamais la communauté internationale ne parviendra à freiner le réchauffement climatique.

Le secret de la nouvelle Caramilk gazière

M. Tétrault croit qu’il y a d’autant moins lieu de renoncer au gaz naturel que le Québec, insiste-t-il, détient une avancée technologique qui contribuerait à réduire le GES à l’échelle mondiale. Sa production serait ainsi plus facilement exportable dans les pays d’Europe et d’Asie en lieu et place du solaire, de l’éolien et autres énergies de remplacement encore trop coûteuses et peu fiables, selon lui. En quoi consiste donc cette panacée de substitution? Le chat va-t-il enfin sortir du sac? Non, Martineau n’est pas curieux ou bien il se garde une petite gêne, et l’entrevue finit en queue de poisson.

Il fallait avoir consulté d’autres sources d’information, les médias de la région du Saguenay-Lac-St-Jean principalement, pour comprendre que le représentant de l’AEQ faisait la promotion, à mots couverts, du controversé projet Énergie Saguenay de GNL Québec. Rappelons que celui-ci consiste à liquéfier du gaz de fracturation en provenance de l’Ouest canadien, acheminé par un nouveau gazoduc de 780 km, afin de l’exporter au moyen de navires-citernes en passant obligatoirement par le fjord du Saguenay. Le seul avantage écologique de cette installation appelée à produire 11 millions de tonnes de GNL annuellement résiderait en fait dans son alimentation en hydroélectricité plutôt qu’au gaz naturel, comme c’est le cas ailleurs dans le monde.

Notre énergie renouvelable mise au service d’un combustible fossile du ROC et qui, de l’avis des experts les plus crédibles, génère autant de GES que le pétrole et le charbon en raison de sa forte teneur en méthane, en plus de fragiliser les sols et contaminer la nappe phréatique. Voilà le nouveau fer de lance de l’industrie gazière québécoise!

Le port du masque est en vigueur dans le marketing gazier

L’AEQ a déposé un mémoire de 28 pages au BAPE chargé d’évaluer l’impact environnemental du projet, l’un des rares parmi les quelque 2800 reçus qui soit favorable à Énergie Saguenay. Nulle part dans le document on nous précise que le gaz naturel destiné à l’usine de liquéfaction de Grande-Anse de La Baie serait obtenu par fracturation hydraulique. On utilise plutôt l’expression « gaz naturel de chez nous ». La mention de fracturation hydraulique apparaît une seule fois, pour désigner le gaz naturel des compétiteurs américains. Le terme « gaz de schiste » est quant à lui présent une seule fois également, et toujours en parlant des États-Unis.

C’est la même stratégie de camouflage qu’avait adoptée GNL Québec dans son Étude d’impact environnemental, présentée en février 2019. À aucun endroit dans le document de 1032 pages on ne précisait le type de gaz naturel qui serait utilisé. Il a fallu attendre un an plus tard pour que l’entreprise précise que la proportion de gaz obtenue par fracturation hydraulique serait de 85%. Tout indique qu’en 2026, à la date prévue pour l’entrée en fonction de l’usine, le pourcentage avoisinerait 100%, les réserves de gaz conventionnel étant déjà presque épuisées en Amérique du Nord.

Le rapport du BAPE sur GNL Québec est attendu à la mi-janvier. Comme l’organisme n’a qu’un pouvoir de recommandation, le gouvernement caquiste de François Legault devra décider s’il appuie ou non ce projet de 14 milliards, en quête de nouveaux investisseurs depuis le retrait du milliardaire Warren Buffett en mars dernier. Le seul fait qu’Hydro-Québec se soit déjà engagé à lui accorder un tarif préférentiel, au même titre qu’une aluminerie, constitue en soi une subvention et un signal encourageant pour le promoteur.

Il est prévu que le gazoduc fera pour sa part l’objet d’une évaluation distincte, menée cette fois conjointement par nos deux paliers de gouvernement. La mascarade risque donc de se poursuivre encore longtemps.

Clément Fontaine, journaliste indépendant