C’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’une étude chiffre le nombre de fraudes en matière de reprises et d’évictions et il faut dire que nos chiffres sont rien de moins qu’alarmants. Mais l’existence même de ces fraudes n’est pas une grande surprise. Il n’y a pas si longtemps, le porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) reconnaissait d’ailleurs que les reprises et évictions de logement sont des opérations détournées pour contourner les règles en matière de fixation des loyers, car dit-il, « les loyers ne sont pas assez alléchants » (Le Devoir, Vers une crise du logement au Québec?, 16 janvier 2020). La CORPIQ est donc, pour une très rare fois, d’accord avec nous : la loi sur les reprises et évictions est souvent détournée dans l’unique but de faire plus d’argent!
Mais… rassurez-vous, nous ne sommes pas du tout d’accord. Contrairement aux fortes inquiétudes que nous exprimons dans notre rapport, la CORPIQ ne se scandalise pas des tactiques frauduleuses des propriétaires. Or, nous pensons que nombre de propriétaires prennent leur distance face aux propos de la CORPIQ. Plusieurs propriétaires veulent simplement vivre leur vie de façon décente sans appauvrir leur voisin. Plusieurs n’ont aucune envie de devenir riche comme Crésus avec des flips immobiliers.
Dans ce contexte, quelle sorte de personne jetterait un locataire à la rue de façon indigne et frauduleuse? Vraiment, combien de propriétaires sont d’accord pour traumatiser à vie leurs locataires en échange d’une poignée de dollars?
Des justifications malhonnêtes qui détournent le propos
La CORPIQ répète encore sa sempiternelle lamentation : à ses yeux, la grille de fixation des loyers utilisée par le tribunal du logement serait désuète et ne tiendrait pas compte des coûts de rénovation. La CORPIQ en rajoute une louche en invoquant les difficultés financières des « petits propriétaires » qui ne peuvent se permettre des pertes de revenu après avoir investi des sommes importantes dans des travaux majeurs. Il faut cependant voir dans cette riposte une tentative malhonnête de justifier l’injustifiable.
Premièrement, il faut savoir que ces arguments ont été mis en pièces maintes fois, non seulement par les comités logement, mais aussi par le tribunal. Il est tout simplement faux de dire que le retour sur investissement en ce qui concerne le logement locatif pose problème à cause des règles de fixation de loyer. Mais surtout, une telle réponse cherche à détourner le regard des fraudes en direction du retour sur investissement des propriétaires.
Nos enquêtes démontrent toutefois, noir sur blanc, que dans la majorité des cas de reprise, d’éviction ou de rénoviction portés à notre attention, les propriétaires ne réalisaient tout simplement pas les travaux projetés et avaient reloué le logement à un prix exorbitant, en doublant ou même triplant le loyer. Le but n’est donc pas de financer des travaux ou d’obtenir une hausse de loyer un peu plus importante, mais de remplir des poches qui sont comme un puits sans fond. Et, fait important à souligner, la majeure partie des fraudes que nous avons observées étaient le fait de « petits propriétaires » qui ne possédaient probablement pas plus d’un immeuble.
La CORPIQ tire sur le messager
La CORPIQ n’est cependant pas à une contradiction près. Plutôt que de justifier les fraudes en critiquant le processus de fixation des loyers, elle jette maintenant le doute sur nos données. Sa dernière attaque consiste à prétendre que notre rapport serait basé sur des « plaintes », ce qui en fausserait le portrait ( De nombreuses reprises et évictions frauduleuses dans La Petite-Patrie, selon le comité logement Ici Première, émission « Le 15-18 » du 14 décembre 2020). C’est assez cheap d’attaquer la crédibilité de notre travail d’enquête.
Il faut savoir que la CORPIQ est une association de propriétaires composée de membres qui défraient plusieurs centaines de dollars par an pour avoir droit à ses services. Ses membres sont donc des personnes motivées, qui financent des lobbyistes défendant leurs intérêts. Il est ainsi fort probable que la CORPIQ reçoit énormément de plaintes de propriétaires contre leurs locataires. Or, c’est différent dans les comités logement : nos services sont entièrement gratuits et les locataires qui nous appellent ne se plaignent pas, mais veulent simplement s’informer! La plupart nous disent d’ailleurs vouloir éviter tout conflit avec leur propriétaire. La majorité des locataires, qui s’informent donc suite à une tentative de reprise, d’éviction ou de rénoviction – une situation traumatisante qui justifie amplement le besoin de s’informer –, font face à une tactique frauduleuse.
Cela n’a rien d’étonnant. Avec le laisser-aller politique qui caractérise notre époque s’est installé un vaste réseau de fraudes immobilières : des émissions télé en grand nombre encouragent les flips immobiliers; des courtiers immobiliers deviennent des spécialistes en évictions, en monnayant le départ des locataires; des entrepreneurs se font complice des spéculateurs en harcelant les locataires avec des travaux bruyants et dangereux pour leur santé; des regroupements d’investisseurs offrent des hypothèques privées qui passent sous le radar des instances publiques; des notaires et même des fascicules de la Caisse Desjardins montrent comment détourner le moratoire sur la conversion en condo; et, pour couronner le tout, des banques financent les évictions en incluant un « coût d’opportunité » dans le montage financier des emprunts hypothécaires, qui est en fait une somme forfaitaire représentant les montants d’argent jetés aux locataires en échange de leur bail.
Tout ça pour réajuster une grille de fixation des loyers? Vraiment, soyons sérieux! Les fraudes en matière de reprises, d’évictions et de rénovictions sont devenues un véritable fléau social et, bien que la CORPIQ refuse de reconnaître ce problème, notre véritable interlocutrice est la ministre de l’habitation du Québec, Mme. Andrée Laforest, qui doit maintenant poser les actions nécessaires pour empêcher ces fraudes massives de se répéter année après année partout au Québec.
Martin Blanchard, Comité logement de la Petite Patrie