La dénonciation d’agression sexuelle est un acte de résilience qui, faut-il le rappeler, s’inscrit pour plusieurs femmes dans une démarche de guérison et de réappropriation de leur pouvoir. Chaque femme devrait pouvoir décider des circonstances dans lesquelles elle dévoile une agression sexuelle.
On ne devrait jamais forcer quelqu’un à utiliser un canal plutôt qu’un autre pour y arriver, bien que l’avenue du tribunal soit toujours mise de l’avant comme étant le protocole à suivre – spécialement par plusieurs «expert-e-s» suite aux nombreuses vagues de dénonciation sur les réseaux sociaux que nous avons connues dans les dernières années. Je me permets de mettre l’expertise entre guillemets, car si de vrai-e-s expert-e-s telle que la directrice générale de Juripop se sont prononcés sur la question en mettant toujours au centre les besoins des femmes en question, plusieurs hommes dans l’espace public se sont aussi permis de dire aux femmes quelle était la marche à suivre, selon eux, pour dénoncer en bonne et due forme.
Sans grande surprise, ce n’est pas toutes les femmes qui considèrent que la voie judiciaire est celle qu’elles désirent emprunter. Le processus de dénonciation est extrêmement difficile à naviguer : on exigera des victimes qu’elles racontent à de multiples reprises, dans des détails exhaustifs, leur agression – sans compter que contrairement à Bruno Gagné et Patrick Bissonnette, ce ne sont pas tous les enquêteurs qui savent comment accueillir de tels témoignages. On n’a qu’à penser à cette jeune femme de la région de Québec qui a dénoncé le comportement problématique et les questions hautement inappropriées du policier en charge de son dossier lorsqu’elle a déposé une plainte pour agression sexuelle.
Et peut-on vraiment blâmer une victime de ne pas faire confiance au système de justice en place? J’ai lu avidement les articles citant la juge Mélanie Hébert qui rappelle qu’un acquittement ne veut pas dire que l’accusé n’a pas commis les crimes qui lui sont reprochés : «[…] le Tribunal ne peut pas priver monsieur Rozon du doute raisonnable sur la question de la crédibilité, et ce, même si sa version apparaît moins plausible que celle d’Annick Charrette. Ainsi, même si le Tribunal ne croit pas la version des faits donnée par monsieur Rozon, celle-ci soulève tout de même un doute raisonnable.»
Il n’y a pas un crime plus intime que ceux à caractère sexuel; par définition même, c’est très rare qu’il y ait une multitude de témoins pour corroborer la version des victimes. C’est très rare qu’une agression sexuelle survienne en plein jour sur une rue passante, disons ça comme ça. Les procès pour viol deviennent ainsi une question de «sa parole contre la tienne» ou, comme disent les anglophones, a classic case of he said she said (un cas classique de «Il a dit, elle a dit»).
Pourtant, si on se fie aux dernières statistiques de la Sécurité publique, les deux tiers des infractions sexuelles ont lieu dans des résidences privées. Sans grande surprise, une vaste majorité des victimes connaissent également leur agresseur, quoiqu’en pensent les chroniqueurs poubelles qui voudraient nous faire croire qu’une femme court plus de risques de se faire agresser par un inconnu louche dans un stationnement désert. On parle quand même de 85% des mineures et presque 70% des femmes adultes – toutes des femmes qui connaissaient leur agresseur.
Donc les femmes se font agresser sexuellement par quelqu’un en qui elles avaient au moins un minimum de confiance, puis lorsqu’elles désirent porter plainte et suivre les «bons» canaux pour dénoncer, leur voix est enterrée sous le doute raisonnable et le manque de preuves – et ce même si on avoue croire les femmes et leurs témoignages. Si elles utilisent plutôt un moyen alternatif pour dénoncer, que ce soit une publication Facebook ou l’ajout aux interminables listes estivales, on les menace de diffamation, on les traîne dans la boue, on refuse de considérer leur parole comme étant vraie d’emblée et on leur propose plutôt de se tourner vers la justice. Mais quand elles se tournent vers la justice, leur voix est enterrée sous le doute raisonnable et le manque de… Vous comprenez l’impasse dans laquelle elles se trouvent.
J’ai travaillé comme intervenante auprès de plusieurs clientèles différentes, mais mon travail auprès de femmes survivantes d’agression sexuelle me chamboule quotidiennement. Je ne suis qu’admiration devant leur force, leur capacité d’introspection, leur vulnérabilité, leur désir d’aller mieux, de se reconstruire, de retrouver le contrôle sur leur vie.
Ce n’est pas une mince affaire de s’assoir devant une inconnue et de lui raconter son viol, et elles se prêtent à l’exercice parce que pour une rare fois, on leur offre la possibilité de parler sans les interrompre, sans les juger. Je ne suis pas une inquisitrice ni une chasseuse de sorcières, je n’ai pas de doute raisonnable lorsqu’elles me racontent les atrocités auxquelles elles ont survécu.
Sur l’affaire Rozon
Je ne voulais pas commenter l’acquittement de Rozon, j’avais l’impression d’être trop près pour avoir quelque chose à dire de nouveau. Puis j’ai lu les nombreux appels à ne pas garder le silence, à ne pas se laisser abattre, à continuer le combat. Je ne sais pas si cette chronique amène un regard neuf sur les événements de cette semaine. Je peux par contre vous garantir une chose : dans mon bureau, demain, il y aura encore et encore des survivantes d’agression sexuelle qui travaillent si fort pour se reconstruire pendant que des violeurs s’en sortent avec même pas une claque sur les doigts quand les femmes courageuses décident de dénoncer et de s’en remettre au so-called système de justice.
Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. Demain et après-demain et chaque jour, du lundi au vendredi, de 8h à 16h, il y aura des survivantes d’agression sexuelle dans mon bureau prêtes à s’ouvrir et à cheminer vers la guérison. C’est uniquement leur résilience et leur courage qui m’ont motivée à utiliser cette tribune pour occuper l’espace de cette conversation importante qui ne se terminera que lorsque croire les victimes signifiera que l’on n’acquitte par leur agresseur, une conversation essentielle qui ne sera conclu que lorsqu’on aura mis en place un système humain et juste pour les victimes sans leur imposer de «passer au tordeur» pour dénoncer, comme le disent si bien les enquêteurs du District 31.
Nous en parlerons donc visiblement encore longtemps, jusqu’à manquer de salive s’il le faut. On vous aura prévenu.