Pour rejoindre Bethléem, qu’importe d’où l’on vient, il faut désormais faire un grand détour, engendré par la nécessité de contourner le mur de séparation. Ce mur, immense et laid, long de 700 kilomètres et atteignant huit mètres de hauteur en certains endroits, a été construit à partir de 2002 par Israël, afin de contrer les attentats perpétrés sur son territoire, venant de la Cisjordanie. Qui a un passeport étranger le traverse aisément, mais il en est tout autre pour les Palestiniens. À l’instar des restrictions régissant les zones H1 et H2 à Hébron, il est interdit aux citoyens palestiniens de franchir le mur, à moins de détenir un permis octroyé par Israël.

À chaque point de contrôle, le scénario se répète : l’autobus se vide de ses citoyens palestiniens de moins de quarante ans, profilés comme potentiels terroristes. Les soldats israéliens peuvent mettre quelques dizaines de minutes à arriver, selon le trafic, et vérifient alors les papiers de tout le monde. Ceux dehors doivent, en plus, passer par un détecteur de métal.

Les autorités israéliennes compilent plusieurs données sur les Palestiniens, et les permis, difficiles à obtenir, peuvent être révoqués à tout instant, sans autre prétexte à fournir que des motifs de sécurité. La plupart des permis sont octroyés aux citoyens palestiniens qui, palliant à une main-d’œuvre insuffisante, travaillent pour des entreprises israéliennes. Faute de permis, des milliers de Palestiniens sont séparés de leur famille, de leurs amis, parfois même de leur propre terre, cloîtrés dans la prison à ciel ouvert qu’a créée l’érection du mur.

La Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal des Nations Unies, a jugé le mur contraire au droit international. Son édification se poursuit néanmoins, justifiée par le gouvernement de Netanyahou, qui le considère comme une grande réussite. Érigé par mesure de sécurité, il reste que le mur accompli beaucoup plus pour l’État d’Israël. À sa complétion, il aura «avalé» 9,4% du territoire palestinien. Sur cette portion illégitimement prise, Israël a déjà alloué l’établissement de 150 colonies, qui dénombre aujourd’hui plus de 700 000 personnes. Ces colonies sont considérées illégales par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Bethléem, localité d’à peine 30 000 habitants – 200 000 si on englobe toute l’agglomération – est, à elle seule, entourée d’une vingtaine de colonies, totalisant environ 130 000 colons, créant un étau autour d’elle. Mais c’est surtout le mur qui, là plus qu’ailleurs, marque les esprits. C’est qu’il est dressé en plein cœur de la ville, la morcelant avec violence. Son tracé protège les colonies, s’arroge quelques monuments religieux, mais surtout, il fracture les liens sociaux, routiers et communicationnels qu’avaient tissés les citadins.

On saisit bien l’ampleur des dégâts près de la rue Hébron, jadis fort achalandée, lorsque les Bethléemites l’empruntaient pour se rendre à Jérusalem. Aujourd’hui transformée en cul-de-sac, seule s’acharne une station-service, recluse dans l’ombre pesante du mur. En face, un bloc-appartements loge une dizaine de familles, forcées d’obtenir un permis pour monter sur leur propre toit, celui-ci étant plus élevé que le mur. C’est à cet endroit que Banksy a réalisé ses premières œuvres en Palestine. Désormais, le mur est tapissé de graffitis, de fresques grandioses et de messages d’espoir, conférant au mur de la honte une étonnante vitrine à la résistance : Make hummus, not walls.

Hélas, le mur n’est pas le seul stigmate du conflit israélo-palestinien dans la ville, où trois camps de réfugiés s’y agglutinent. Dheisheh, Beit Jibrin et Aida sont devenus des mini-cités emmurées à même la ville et abritent plus de 20 000 réfugiés. De nombreuses familles y vivent décemment, mais les conditions de vie de plusieurs foyers inquiètent les organismes humanitaires, puisque l’eau courante, les services d’électricité et les systèmes d’égouts, contrôlés par Israël, y sont nettement insuffisants.

La ville est pourtant coquette et attire nombre de touristes, chrétiens surtout, qui viennent admirer l’église où Jésus serait né, et cette autre de laquelle Marie, d’une larme, aurait blanchi la pierre. D’autres visitent le tombeau de Rachel, troisième lieu saint du judaïsme, protégé par l’armée israélienne. Catholiques et musulmans disputent aux juifs la propriété du tombeau, même si on ne recense aucune preuve de l’existence réelle de Rachel.

En dépit de sa réclusion forcée et des sanctuaires qui ont causé son malheur, Bethléem, agglomération grimpante sise sur plusieurs collines, demeure animée. Même si ses quartiers périphériques ont été quelque peu négligés par la municipalité, c’est là que le cœur bethléemite bat vraiment. Les commerces de proximité s’y entassent : fruiterie, confiserie, pâtisserie, boucherie et boulangerie bordent des rues serpentines, qui suivent le relief accidenté du paysage. Souvent, entre deux édifices, un terrain vague offre une vue majestueuse sur le territoire qui s’étire, plus bas.

Dans le renflement des montagnes, malgré la déchirure du mur, la civilisation y étend son empire. Le soleil se mire dans les bâtiments en pierre blanche, si typiques de la région. Quelques champs d’oliviers cisaillent le paysage. C’est un des moyens qu’ont trouvés les Palestiniens pour éviter l’établissement de nouvelles colonies : habiter les espaces vacants par tous les moyens. L’olivier, symbole de la paix, devient ici instrument de résistance. C’est sur ce décor magnifique que s’étend le Soleil, sur cette ville qui a offert son nom à une illumination et qui espère renaître, chaque nuit, sous une bonne étoile.