Un grand flambeau en métal a été allumé et l’hymne national entonné. Épaule contre épaule, masque au visage, les yeux rivés vers cette structure qui rappelle un événement douloureux. En toile de fond de ce spectacle touchant, un ciel bleu rosé, des silos à grains calcinés et des édifices éventrés. C’était le 17 octobre 2020 à 18h07, heure à laquelle a eu lieu la double explosion du 4 août dernier et date du premier anniversaire de la révolution, la thaoura comme on l’appelle ici. Plus tôt dans la journée, en ce samedi ensoleillé d’automne à Beyrouth, quelques centaines de Libanais se sont massés à la place des Martyrs devant la mosquée Mohammad al Amine et dans le quartier Hamra, pour ensuite converger tout près du port où avait lieu ce rassemblement.

Marlina, accompagnée de sa fille Célia, brandissait un drapeau libanais. Elle se réjouissait que des gens fassent encore l’effort de se déplacer. «Les politiciens ont un peu peur de nous, mais ça s’arrête là. Il n’y a pas de changement réel, rien, zéro.» Mais pour elle, rester à la maison sans rien faire n’est pas une option. Elle réclame de nouvelles élections. Wissam, lui, a participé à l’installation des tentes sur la place des Martyrs au début de la thaoura, un an plus tôt. Aujourd’hui, il travaille à la reconstruction des habitations dévastées par l’explosion. «Nous sommes ici, encore une fois, pour dire aux politiciens qu’ils nous volent notre pays, notre argent, qu’ils nous mentent à nous et aux comités internationaux qui tentent d’aider le Liban. Nous sommes ici pour élever notre voix et leur dire qu’on ne veut plus d’eux.»

L’hiver approche, les pluies abondantes menacent des immeubles de s’effondrer et aggravent la situation déjà critique. Selon l’Ordre des ingénieurs et Architectes de Beyrouth, plus de 300 bâtiments sont menacés d’effondrement.

Wissam estime que ce ne sont que les ONG et l’armée qui distribuent des vivres et des médicaments. Le gouvernement, lui, ne fait rien pour aider son peuple, poursuit-il. «C’est un désastre». Voilà l’ambiance qui règne au Liban : une population essoufflée, mais qui ne baisse pas les bras pour autant.

Rassemblement organisé le 17 octobre 2020, un an après le début de la thaoura. Des discours ont été prononcés et un flambeau métallique a été allumé à 18h07, heure de la double explosion du 4 août.
Marie-Anne Dayé

C’est aussi ce que l’on ressent lorsqu’on se promène dans les quartiers Mar Mikhaël et Gemmayzé, près du port, qui étaient naguère connus pour être bouillonnants, animés par leurs pubs et leurs cafés. Aujourd’hui, ils se tiennent plutôt tranquilles, bien qu’on puisse encore siroter un verre sur une terrasse et s’arrêter manger un sandwich. Il faut dire que les mesures sanitaires liées à la pandémie et les couvre-feux sporadiques n’ont évidemment pas aidé à revivifier le secteur. En marchant sur la rue Armenia, celle qui traverse Gemmayzé et Mar Mikhaël, on enjambe des débris, on passe sous des échafauds, on évite les sacs de terre et les morceaux de vitres brisées. À travers ce paysage décousu, on passe devant des commerces fraîchement rouverts, des cafés trendy remis sur pied, un studio de yoga et des bureaux temporaires d’ONG.

Des sacs de débris empilés sont monnaie courante dans le quartier Mar Mikhaïl.
Marie-Anne Dayé

On croise des gens qui mènent un semblant de vie normale, des bénévoles et des travailleurs qui se démènent chaque jour pour aider à la rapiécer murs, portes et fenêtres. C’est un portrait à la fois désolant et timidement optimiste qui témoigne de la réalité des Libanais depuis plus d’un an. Avec l’inflation qui a atteint 136,5% en octobre 2020, un gouvernement qui n’est toujours pas formé, les coupures d’électricité quotidiennes, les restrictions bancaires qui lient les mains de la population et une monnaie qui ne vaut plus grand-chose (sur le marché noir on échange 1$ USD contre 8000 livres libanaises alors que le taux officiel était de 1$ USD pour 1 507 livres depuis 1997), il est tout de même difficile pour plusieurs de voir le bout du tunnel.

L’équipe de Basecamp Beirut distribue de la nourriture, des médicaments et répare les maisons abimées, entre autres. Elle effectue régulièrement des visites chez des gens dans le besoin pour savoir ce qui leur manque.
Marie-Anne Dayé

L’explosion a fait des ravages et a fait parler du Liban. La crise économique aussi. Ce qu’il reste à accomplir pour relever le pays est énorme et les fonds des organismes s’épuisent. Djeylane Nemlich, responsable des approvisionnements et des dons à l’organisme Basecamp Beirut, rappelait, en octobre, que l’hiver arrive et qu’il y a encore des gens qui n’ont ni fenêtre, ni nourriture. «Don’t forget about us, it’s only been 2 months (Ne nous oubliez pas, ça ne fait que deux mois). Le problème, c’est ça. Comme on est dans une société de zapping, ça va très vite.»

Malgré tout, on peut encore voir des sourires sur le visage des gens. Des gestes d’entraide ici et dans la diaspora. Des initiatives sociales qui émeuvent et qui démontrent une force inspirante. Mais la résilience, cette étiquette qu’on a accolée aux Libanais, a ses limites. Le peuple en a assez d’être résilient, il exige des changements durables, des vrais.