À l’invitation du Mouvement des Jeunes Souverainistes (MJS), plusieurs centaines de manifestants se sont réunis devant l’hôtel de ville de Montréal pour se rendre aux portes de l’Université McGill. Drapeaux fleurdelisés en main, ils ont enjoint les élus montréalais au respect et à l’application de la Loi 101 ; ceux de l’Assemblée nationale au retrait de subventions au Collège Dawson et à l’Université McGill.

« Nous, comme jeunes souverainistes, on est tannés de devoir parler de la langue, s’insurge Alex Valiquette, fondateur du MJS et organisateur de l’événement. » Des revendications phares accolées à la manifestation, M. Valiquette estime que l’indépendance du Québec en est la pièce maîtresse. « Dans un pays, la langue est censée se parler d’elle-même, dit-il. En réalisant l’indépendance, on n’aura plus à protéger le français, ça se fera de façon organique. »

En amont de la marche, des membres du MJS se sont adressés à la foule. « Dans cet océan d’anglais qu’est l’Amérique du Nord, [la prospérité du français] est une lutte de tous les instants, constate Jacques Martin. On est ici pour envoyer un message clair : à Montréal, il n’y a pas de choix à faire entre deux langues officielles, on veut vivre en français ».

Gabrielle Gagnon y est allée d’une envolée lyrique dont le propos et le ton faisaient écho au Speak White de Michèle Lalonde. « C’est une tristesse qu’au Québec, le fait français ne soit toujours pas un acquis, mais bien un ouï-dire, un rêve inespéré, dit-elle. Le combat de mes ancêtres en vient à devenir le mien. »

Catherine Boulianne-Complaisance s’est ensuite positionnée en appui aux luttes autochtones :

« On ne peut pas faire du Québec un pays légitime sans être en étroite collaboration avec les peuples autochtones […] reconnaissons la légitimité de leurs neuf belles langues. »

Enfin, Sabrina Mercier-Ullhorn a repris les propos de Pierre Bourgault : « défendre le français ici, c’est défendre toutes les langues du monde contre l’hégémonie d’une seule. » Cette dernière est aussi porte-parole d’Accent Montréal et cosignataire d’une pétition demandant des mesures concrètes pour « faire du français la véritable langue commune à Montréal ».

Opposition au projet de loi 66

Avec cette manifestation, le MJS se positionne contre les dispositions du projet de loi 66 qui octroient des fonds de 750 millions à des institutions d’enseignement supérieur anglophones. De cette somme, 50 millions sont destinés à l’agrandissement du Collège Dawson.

« On se rend compte qu’on donne plus d’argent per capita aux institutions postsecondaires de langue anglaise », déplore Esteban Carrillo, membre du MJS. Au Québec, l’enseignement supérieur est l’un des principaux vecteurs de l’anglicisation, notamment chez les immigrants allophones.

M. Carrillo souhaite que le financement soit fait de façon proportionnelle au poids démographique des communautés et qu’il soit récurrent, de sorte à assurer l’entretien des infrastructures.

Les 700 autres millions promis par Québec serviraient à l’annexion du site de l’ancien hôpital Royal-Victoria à l’Université McGill. « Ce qu’on aimerait pour l’hôpital Royal-Victoria, c’est que le bâtiment et son terrain servent à la construction d’une université internationale de la francophonie », explique M. Valiquette.

Bilinguisme fluide

La manifestation du MJS survient au surlendemain de la publication d’une lettre ouverte du jeune traducteur Joshua Pace dans nos pages. « Les scrupules que l’on met à surveiller la langue disparaissent lorsqu’il s’agit d’effectuer un examen honnête de ce dont elle devrait être garante, c’est-à-dire notre culture commune », considère-t-il.

M. Pace dénonce les tenants d’une culture qui peine à se montrer inclusive et représentative de la diversité québécoise : « le problème du français à Montréal et le problème de la diversité au Québec sont un seul et même problème. »

« L’usage de la langue est multiple, il n’est pas binaire, croit pour sa part le directeur de l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia, Chedly Belkhodja. Si on parle une langue, on ne perd pas systématiquement l’autre. »

Franco-tunisien d’origine, M. Belkhodja a grandi à Moncton, au Nouveau-Brunswick, dans un contexte de francophonie minoritaire.

« Là-bas, le bilinguisme, c’est un peu l’histoire de deux solitudes, raconte-t-il. Quand je suis arrivé à Montréal, je me suis retrouvé dans un bilinguisme fluide, dynamique. » Celui qui est aussi directeur du Réseau de recherche sur les communautés québécoises d’expression anglaise (QUESCREN) voit d’un bon œil la coexistence des deux langues.

Au-delà des impératifs de nature économique, M. Pace croit que l’engouement des immigrants pour la langue anglaise est le fait d’un « d’un désintérêt généralisé face à une culture essoufflée qui peine à se renouveler et qui, fatalement, n’inspire plus. »

Pour Esteban Carrillo, l’intégration réussie des nouveaux arrivants est étroitement liée au projet de pays. « Ces gens-là n’ont pas l’impression de faire partie prenante de la culture québécoise, il faut aller les chercher, argue-t-il. La souveraineté ne se fera pas sans les néo-Québécois. »