«J’ai l’impression que ma vie va un peu dans tous les sens en ce moment, me confie-t-elle au téléphone. C’est plutôt bon signe généralement, je pense. Je prends ça comme quelque chose de positif.»
Reste que lorsque j’ai croisé Thaïs à une distance sécuritaire pendant son passage aux Francouvertes fin septembre, on avait convenu informellement de faire une entrevue sur son nouveau bébé avant de penser à parler du prochain. Paradis artificiels est un testament électropop à une relation amoureuse qui se termine. L’univers est vaporeux, doux et mélancolique, porté sur les six pistes par la voix cristalline de la chanteuse. Il rappelle les courtes nuits de la fin de l’été, lorsque l’on commence déjà à être nostalgique des vacances qui se terminent alors que l’on ouvre de moins en moins les fenêtres.
Grossesse prolongée
Sauf que ce n’était pas une sortie automnale qui était prévue initialement. Le projet devait paraître au printemps, mais les turbulences mondiales ont forcé Thaïs à en repousser la sortie. Paradis artificiels aura donc été en gestation pendant tout près d’un an. Si bien que le premier extrait, Lou, était déjà disponible en novembre 2019.
Ce changement de plan aura permis de retravailler certaines pièces, pour le mieux. «Je n’ai changé aucune chanson, ce sont les mêmes, précise-t-elle. Mais pour être honnête, je pense que c’est une version améliorée. On avait terminé certaines chansons, et je pense qu’en ayant ce petit moment de pause, ça m’a forcée à regarder le projet dans son entièreté, avec un peu plus de recul» dit-elle.
Vanille, dernière pièce du mini-album, est sans contredit celle qui aura profité le plus de cette extension. «Toute la partie un peu gros beat, à la fin, ce n’était vraiment pas prévu. On a envoyé les chansons à un beatmaker du nom de Housefly, qui les a retravaillées un peu. Il a donné un second souffle aux chansons. Il leur a donné un sens aussi, étrangement.»
En plus du contenu de l’album, le contenant a été complètement revampé. C’est ainsi que les pochettes des deux extraits disponibles ce printemps ont été mises à jour. Les photos qui accompagnaient les deux pièces ont été remplacées par des illustrations de Thaïs. «Visuellement, ça ne marchait peut-être pas avec la proposition qu’on avait musicalement qui était beaucoup plus pop et lumineuse. C’est des pièces très personnelles, donc si je les illustre avec mes propres dessins, c’est encore plus personnel.»
Au coeur (brisé) de Paradis artificiels
C’est que la relation qui s’effrite au cœur de Paradis artificiels n’est pas vraiment de la fiction. Thaïs y raconte une rupture marquante qu’elle a réellement vécue. Elle affirme d’ailleurs avoir gardé contact avec cette personne. «C’était souvent la première personne à qui j’envoyais mes chansons.»
Elle explique avoir utilisé son projet «comme un exutoire», comme une façon de se «parler à [elle]-même là-dedans», mais croit qu’il était important de montrer ses textes à sa muse. «J’imagine que je m’exprime mieux en musique que dans la vraie vie. Donc, peut-être qu’il y a certaines choses qui ont été comprises plus clairement à travers mes chansons par la personne que tout ce que j’ai pu lui dire depuis le début.»
Durant l’entretien, Thaïs se garde bien de donner des détails sur l’identité de cette personne. Elle assure d’ailleurs que le prénom «Lou», qui sert de titre pour l’une des pièces, est totalement fictif. Il a aussi l’avantage de pouvoir faire référence autant à un garçon qu’à une fille. «Les gens de mon entourage savent de qui je parle. Mais à part ça, j’aime ça que tout le monde puisse s’identifier d’une façon ou d’une autre. J’aime beaucoup cette idée de ne pas genrer. Ce n’est pas une décision nécessairement délibérée. Parce que bon, quand on va un peu plus dans les paroles, peut-être que l’on comprend plus.»
L’amour, une puff à la fois
Durant l’entrevue, je lui parle du livre de Charles Beaudelaire, Paradis artificiels, qui explore les rapports entre la drogue et la création. Si Thaïs avoue avoir emprunté le titre de son projet au bouquin, qu’elle a trouvé dans la collection de livres de sa mère, elle avoue que le lien avec la drogue est une pure coïncidence. «C’est un peu gênant, en fait! J’étais en pleine période d’écriture pour le EP et je n’avais pas encore de titre. Mais je savais que ce que je voulais, ça se situait entre les rêves, la réalité, les souvenirs, la mélancolie… Mais le recueil en tant que tel n’a pas nécessairement rapport avec mon EP; j’y parle pas de drogue! » Elle assure aussi être « vraiment très sage comme personne», même si elle conçoit que l’amour peut parfois être une drogue en tant que telle.
Malheureusement, Covid-19 oblige, Thaïs n’aura pas eu beaucoup de chances de présenter ses chansons sur scène. Elle a tout de même pu montrer une partie de ce dont son projet est capable lors du sixième soir des préliminaires des Francouvertes, le 29 septembre dernier. Même si son parcours au concours-vitrine s’est terminé assez tôt, elle n’en repart pas les mains vides. En effet, cette expérience lui aura permis de rencontrer Jay Essiambre, meneur de la formation La Faune qui participait également à cette 24e édition.
Celui-ci accompagnera désormais Thaïs à la batterie, une belle addition compte tenu de la direction qu’elle souhaite prendre sur son prochain album. «Je prévois utiliser plus d’instruments naturels, d’aller chercher d’autres gens tout en gardant toujours ma face Thaïs.» Sans trop vouloir en dévoiler, elle affirme que ce prochain projet est «une suite logique à Paradis artificiels», et qu’elle a déjà toutes ses compositions en main. «Je pense que j’écris mieux maintenant qu’il y a un an – et l’année dernière j’aurais dit la même chose par rapport à l’année d’avant. Je suis contente de constater cela. Je suis mieux organisée dans ma création, je suis plus efficace et j’écris mieux.»
Si cette affirmation est vraie, et que son prochain projet est encore plus abouti que Paradis artificiels, on peut s’attendre à ce que son téléphone sonne encore plus souvent à sa sortie. En espérant qu’elle aura le temps d’être bien installée dans son nouvel appart d’ici là.