La pandémie de COVID-19 aura été exceptionnelle selon l’auteur et professeur de philosophie. Elle aura forcé des États, au nom du bien commun, à réglementer comme jamais la vie en société : interdire l’ouverture des commerces, exiger le port du masque, et ainsi de suite. Mais, comment expliquer que cet enjeu de santé publique soit considéré si sérieusement par l’État, alors que d’autres, comme les répercussions de la malbouffe, les effets dévastateurs du pétrole ou encore l’impact des médias électroniques sur les jeunes, ne bénéficient pas de mesures équivalentes?
Il affirme que dans le contexte de la pandémie, l’État s’est vu obligé de protéger la collectivité pour reprendre rapidement le rythme du capitalisme. L’insipide « ça va bien aller » appelle à reprendre ce rythme, à consommer des produits manufacturés provenant de Chine, à profiter du tourisme de masse. Bref, à espérer que tout ira bien, comme avant, en se fermant les yeux et en fonçant.
Les origines de la crise
Questionné sur les origines de la crise sanitaire, le philosophe n’y va pas à demi-mot : « On ne peut pas considérer la crise comme une malédiction : elle s’explique par notre mode de production. C’est un phénomène intrinsèque à l’organisation mondialisée du capitalisme ». Prenons l’exemple futile d’une bouteille de ketchup : 10 pays sont nécessaires à sa production. La pellicule de plastique qui recouvre la bouteille est conçue dans un pays, les tomates sont produites dans un autre, puis dans un autre encore sont fabriqués les intrants qui feront pousser les tomates. « Mais quels sont alors les impacts de cette mondialisation? », a demandé un participant à la conférence. Pour le professeur, la réponse est simple :
Ayant écrit plusieurs ouvrages sur le sujet (De quoi Total est-elle la somme?, Le totalitarisme pervers), le philosophe dénonce sans pitié les multinationales qui bénéficient abusivement de cette production délocalisée. Faire faire des produits en Chine, par un prolétariat asservi et vulnérable, tout en contournant les règles sociales que nous nous sommes données en Occident, voilà le propre des multinationales. Celles-ci sont reines d’un monde où elles vendent à fort prix des biens produits à moindre coût et dans des conditions atroces.
Une imminente crise cumulée
Le philosophe avance également que la pandémie actuelle est le symptôme d’un problème beaucoup plus grand. La crise qui s’annonce au 21e siècle est, selon lui, très grave : c’est à la fois une crise énergétique, écologique et minière. Nous vivons à crédit sur une planète qui ne peut plus l’endurer, dénonce le philosophe. Il renchérit en admettant qu’il faudra, tôt ou tard, changer notre mode de vie, sans quoi nous subirons ce changement forcé.
Pour un monde viable, bon et fécond, il faut repenser le terme économie, avance le philosophe dans un feuilleton théorique sur lequel il travaille actuellement. À travers six ouvrages dont trois sont déjà publiés, il tente de redéfinir l’usage du terme économie qui, avant le 18e siècle, représentait autre chose que ce qu’entendent aujourd’hui les sciences économiques. Le terme désignait les rapports entre les choses : rien à voir avec la production, l’argent ou le profit. Le philosophe présente l’exemple de l’économie de la nature, qui consistait à penser les interactions des éléments du vivant de sorte à assurer leur durée et leur persistance.
Pour Alain Deneault, une reconstruction est possible si est réinvesti l’usage du mot économie. Il faut selon lui cesser de permettre à ce terme la destruction de la planète pour le profit d’une minorité, et plutôt penser l’économie comme la mise en relation d’éléments. Pour le philosophe, voilà une manière de repenser le monde de manière féconde et souhaitable.