Pourtant, en Floride, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Le nombre d’infection est reparti à la hausse, avec jusqu’à 5 500 nouveaux cas quotidiens. On aurait pu croire que cela inquiéterait les quelques milliers de personnes, principalement âgées et plus vulnérables, venues assister au rassemblement Make America Great Again organisé dans ce « Walt Disney World pour retraités », dans le cadre de sa tournée de la Floride, État essentiel à sa réélection. Au contraire.
Le point de rendez-vous est un simple champ derrière le club de polo. On y converge de partout dans une ambiance festive, sur les notes de My Heart Will Go On, de Céline Dion. Même dans la foule bien compacte, le port du masque fait figure d’exception. À mesure que les partisans s’entassent depuis l’accès principal au site, il devient très clair que les consignes sanitaires suggérées par l’État de la Floride ne seront ici pas respectées.
Un spectacle rock
L’attente fait partie du spectacle. Par de gros hauts-parleurs, les chansons s’enchaînent, faisant monter la tension. On reconnaît Queen, Bruce Springsteen, et autres figures du répertoire nostalgique de la radio FM américaine. Sur Fortunate Son, chanson rappelant la guerre du Vietnam, font leur apparition de massifs aéronefs V-22 Osprey des Marines, mi-avions, mi-hélicoptères. L’effet sur la foule est immédiat. L’euphorie ne sera égalée que par l’arrivée, immédiatement après, de Marine One ainsi que de son double. L’hélicoptère présidentiel passe en rase-motte au-dessus de la foule en délire. Le président est accueilli en héros.
Ses premiers mots sont pour la Floride, pour son amour pour The Villages, où, dit-il, il aimerait bien déménager sa résidence de Mar-a-Lago. La blague fait mouche, et le public conquis d’avance lui crie son amour. Ce qui se passera pour les prochaines 90 minutes relève d’un mélange entre un concert de rock, un spectacle d’humour, et un discours politique à proprement parler. Ce dernier aspect est si bien intégré que la manœuvre est presque hypnotique. Sans notes, la bedaine bien accotée sur le petit podium, le président parlera énergiquement sans prendre de pause.
Sur le contenu, rien ne vous étonnera. Trump revient sur le débat des candidats qui a eu lieu la veille. Un thème qui reviendra à de nombreuses reprises, presque comme une ponctuation dans son discours-fleuve décousu. Avec le même lexique que dans ses tweets, il insultera tour à tour les médias (bouu, huera la foule), Joe Biden et son fils Hunter, cible de nombreuses allégations publiées par le camp républicain. Kamala Harris, Bernie Sanders et même la représentante au congrès pour New-York, Alexandria Ocasio-Cortez, goûtent aux railleries.
Il vantera finalement ses réalisations en politique étrangère et dans sa gestion de la crise de la COVID-19. Au détour, il reviendra encore et toujours sur le fameux débat de la veille, qu’il dit avoir gagné, avec pour preuve le sondage maison de Fox News selon lequel 91% des auditeurs l’ont préféré à Joe Biden.
Doutes sur le coronavirus
Engourdi par un discours interminable, et des heures d’attente sous le soleil floridien, pour ceux qui sont arrivés en avance, le public écoute attentivement les explications incohérentes du président à l’égard d’un virus qu’il fait tout pour vaincre, mais dont les dangers sont exagérés, voire inventés par les médias.
D’abord, Trump expose une minuscule dose de vulnérabilité en racontant les circonstances dans lesquelles il aurait appris la nouvelle de son infection : « Je n’avais pas le temps de ne pas me sentir bien », dit-il, dans son style répétitif. « Mais je me suis mis à ne pas me sentir bien. »
J’ai dit à mon docteur, je ne me sens pas bien. Quand il a dit que j’étais positif, je lui ai dit que ce n’était pas ce que je voulais entendre. Je n’ai pas le luxe de m’enfermer dans un bunker, je suis le président. Je dois travailler. »
Il enchaîne aussitôt sur sa guérison presque miraculeuse, qu’il attribue à des soins de santé hors du commun (Trump dit avoir 12 médecins à son service) et de sa prise du médicament expérimental de Regeron. Des soins qu’il rendra disponible à tous, avec en plus un million de doses de vaccin avant la fin de l’année.
Même après avoir promis autant de moyens pour combattre la pandémie, Trump aborde dans un second temps le sujet avec une position complètement contradictoire. La pandémie, comprend-on, est extrêmement exagérée par ses adversaires, CNN et les autres fake news. Même son fils de 14 ans s’est remis de la COVID-19, argumente-t-il. « Les jeunes, leur système immunitaire, je déteste dire ça, mais ils ont un meilleur système immunitaire que nous. Et la bonne nouvelle, quand vous avez eu le virus, vous êtes immunisé à vie! »
Le président, un risque
Du début à la fin, pas un mot n’est prononcé qui laisserait croire que la situation en Floride est extrêmement grave, avec 778 000 cas diagnostiqués jusqu’ici, ni que le public âgé de The Villages devrait faire preuve d’un minimum de prudence. Au contraire, tout est là pour rassurer ceux qui ont l’intention de ne rien faire devant un virus encore incurable et visiblement hors de contrôle. Ce, même si son passage risque de créer une nouvelle éclosion au « Walt-Disney pour personnes âgées » : selon une enquête du journal USA Today, des hausses de cas ont été observées tout de suite après le passage du président lors d’au moins 5 rassemblements partisans, un peu partout aux États-Unis.
S’il existe une lassitude du président (« Trump fatigue »), comme le prédisent certains analystes, celle-ci n’est pas visible à The Villages, ni sur le corridor de l’ I-4, entre Orlando et Tampa Bay, zone décisive pour une victoire électorale pour les deux partis, entre le nord républicain et le sud démocrate. Advenant que l’électorat plus âgé, comme à The Villages, achète les explications du président sur le coronavirus, il ne restera aux démocrates que l’espoir d’une mobilisation du vote noir et latino insatisfait de Trump.
Or, ce sont des électeurs habituellement moins nombreux à se rendre aux urnes. Come quoi, dans l’État déterminant qu’est la Floride pour celui qui voudra être le prochain président des États-Unis et où les sondages quotidiens sont extrêmement serrés, rien n’est gagné.