Si l’on peut se réjouir de ces mises en lumière, plusieurs réalités sont malgré tout restées méconnues au cours des derniers mois, dont celles des personnes assistées sociales.

Précarité financière

Comme le rappelait Wissam Mansour dans un récent billet publié par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le programme d’Aide financière de dernier recours alloue une prestation mensuelle de 690$ aux personnes sans contraintes à l’emploi et de 828$ aux personnes avec des contraintes temporaires. Or, à Montréal, selon la mesure du panier de consommation (MPC), le seuil minimal pour couvrir les besoins de base tourne autour de 18 500$. Les montants accordés par le Programme d’aide sociale et le Programme de solidarité sociale couvrent un peu plus que la moitié de ces besoins. Comme l’aide fournie par l’État s’avère insuffisante, plusieurs personnes assistées sociales travaillent quelques heures par semaine pour survivre. Les revenus maximaux nets qu’une personne peut gagner sans affecter sa prestation s’élèvent à 200$ par mois.

C’est largement insuffisant, mais ce revenu supplémentaire permet normalement de couvrir un ou quelques besoins de base supplémentaires. En revanche, avec le confinement lié à la crise sanitaire, plusieurs prestataires ont perdu leur emploi.

Ces diminutions de revenus ont été violentes, car elles ont affecté des personnes qui peinaient déjà, avant la crise sanitaire, à manger à leur faim et à payer leur loyer.

La Prestation canadienne d’urgence (PCU) a offert une aide financière de 2000$ par mois aux requérant·e·s, et ce, pendant 4 mois. Pour y être admissibles, les demandeur·e·s devaient avoir touché, durant les 12 derniers mois, un revenu minimal de 5000$. Ainsi, les personnes assistées sociales n’ont pas eu droit à la PCU, ni aux autres programmes mis en place par les gouvernements fédéral et provincial. « En temps de pandémie, il y a plus de dépenses, mais il y a moins de possibilités de revenus. Il y a un filet social qui a été mis en place, mais qui échappe complètement à ces personnes-là. C’est impossible d’arriver avec 690$ par mois. Pandémie et pauvreté, ce sont deux phénomènes qui vont juste creuser davantage les inégalités sociales », explique Virginie Larivière, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Non seulement les personnes prestataires n’ont pas eu accès aux fonds d’urgence distribués par Québec et Ottawa, mais en plus, pendant plusieurs mois, elles n’ont pas eu le droit de prendre part aux activités de l’économie informelle : « C’est aussi toute la question des canettes et des bouteilles. On a redémarré la machine, mais c’est assez bien encadré. Je ne sais pas dans quelle mesure les valoristes qui tiraient un certain revenu de ça fonctionnent maintenant que c’est reparti. Pendant presque deux mois, ça n’a pas été possible d’arrondir ses fins de mois avec ça. Il y a aussi les camelots du magazine L’Itinéraire et les gens qui font de la mendicité, tout ça a été mis sur pause. Plus on est en situation de pauvreté, plus on est dans l’informel, et plus c’est difficile. », décrit madame Larivière.

Insécurité alimentaire

Dans un mémoire publié en 2020, l’Observatoire des inégalités sociales rapporte que 70% des personnes assistées sociales souffrent d’insécurité alimentaire, éprouvant de grandes difficultés à accéder à une nourriture qui soit saine, nutritive, et en quantité suffisante. Plus encore, parmi ces prestataires d’aide sociale, le tiers vivent une insécurité alimentaire sévère, c’est-à-dire sont dans l’obligation de sauter des repas, de limiter leurs portions ou de se priver, certains jours, de nourriture. Ainsi, il n’est pas surprenant que les personnes assistées sociales représentent près de la moitié des bénéficiaires du réseau des Banques alimentaires du Québec (BAQ), selon le Bilan-Faim de 2019.

Or, la situation est devenue encore plus pénible au cours de la crise sanitaire. En effet, plusieurs organismes, comme des cuisines collectives, des popotes roulantes, ont cessé de fonctionner pendant des dizaines de jours. « Avant le confinement, il y avait des groupes communautaires qui faisaient des activités où il y avait des dîners ou des soupers qui étaient servis aux personnes assistées sociales. Ce sont des pertes sèches pour les personnes en situation de pauvreté », ajoute la porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

De plus, ces personnes n’ont pas pu faire appel à l’aide de leur réseau social. Roxanne, une personne bénéficiaire de l’aide sociale, témoigne, dans une lettre publiée sur le site du Collectif pour un Québec sans pauvreté, des difficultés rencontrées pendant le confinement: « Je suis donc sur l’aide sociale, j’ai 34 ans, je vis seule et j’ai un gros budget de 125$ par mois de « lousse », pour me nourrir. Normalement, j’ai de l’aide. J’ai un ami pour m’aider à courir les spéciaux une fois par mois. Je me débrouille assez bien. Ça me prend deux jours à faire ma liste d’épicerie, faire des choix et tout calculer jusqu’à la dernière cenne. Je ne vais pas dans les banques alimentaires, car je tiens à laisser ma place aux familles avec des enfants. Maintenant, mon ami ne peut plus m’aider à cause des mesures de confinement. Je dois payer un taxi (20$ c’est beaucoup pour moi, c’est un poulet et du papier de toilette). En plus de ne plus avoir accès aux spéciaux, je dois faire des pirouettes, car les produits sur ma liste ne sont pas disponibles… »

Les effets de l’insécurité alimentaire ne sont pas anodins. L’étude de l’Observatoire des inégalités sociales avance des liens entre l’insécurité alimentaire et des problèmes de santé mentale comme l’anxiété et la dépression, mais aussi avec des problèmes de santé physique, comme l’asthme, le surpoids ou les maladies cardiaques.

Par ailleurs, des recherches font aussi état d’une relation entre l’insécurité alimentaire et les difficultés scolaires des enfants.

Isolement social

Afin de limiter la propagation de la COVID-19, le gouvernement du Québec a décrété la fermeture de nombreux lieux de rassemblement. Par conséquent, le nombre d’interactions sociales a drastiquement chuté pour la majorité de la population. Or, ce tarissement des contacts sociaux a eu davantage de conséquences chez certaines franges des Québécois et des Québécoises, notamment, chez les aîné·e·s, les individus marginalisés et les personnes bénéficiaires de l’aide sociale. En effet, plus les revenus d’une personne sont faibles, plus les probabilités qu’elle soit isolée augmentent. Avant la pandémie, les organismes communautaires permettaient à plusieurs prestataires de l’aide sociale de tisser des liens sociaux et de bénéficier, par ricochet, de formes collectives de protection. Le confinement induit des situations de solitude exacerbée. « Souvent, les personnes assistées sociales ont perdu des milieux d’implication bénévole. Sur le plan du réseau, elles sont probablement particulièrement exclues en ce moment, ou en tout cas seules. Alors, sur la santé mentale, il y a possiblement des impacts », mentionne Virginie Larivière.

Bonifier le crédit d’impôt pour solidarité

Qu’aurions-nous pu faire pour venir en aide aux bénéficiaires de l’aide sociale? Le Collectif pour un Québec sans pauvreté estime qu’il aurait fallu que Québec bonifie le crédit d’impôt pour solidarité afin d’aider rapidement les personnes à faible revenu, comme les prestataires d’aide sociale, mais aussi, du même souffle, les aîné·e·s, les personnes travaillant à temps partiel, les proches aidant·e·s, etc. Puisque le mécanisme fiscal existe déjà, il aurait été facile de le mettre à profit rapidement. Or, malgré les demandes répétées du Collectif et l’appui d’une trentaine de groupes nationaux ainsi que des trois partis de l’opposition, le gouvernement a fait la sourde oreille. Saurons-nous faire mieux lors d’une prochaine crise sanitaire?

Myriam Boivin-Comtois