M. Legault,

Nous attendions avec impatience votre conférence de presse, le 28 septembre dernier. On nous avait annoncé de mauvaises nouvelles, mais les derniers mois nous avaient appris qu’il était possible de craindre pire encore. Ainsi, c’est sur nos gardes que nous avons reçu vos nouvelles mesures. Elles sont devenues les balises de nos vies, régissant ce qui est dangereux de ce qui l’est moins, ce qui est permis de ce qui ne l’est pas.

Parce que ces mesures ont une telle incidence sur notre quotidien, il est normal de vouloir comprendre ce qui les motive. Il ne s’agit pas de les refuser, de rejoindre les rangs des complotistes en s’époumonant, le masque à bout de bras : « Liberté! » Plutôt, de comprendre les choix derrière chacune de vos décisions. Nous devons faire des sacrifices, cela s’entend, et il est plus facile de s’y astreindre si on connaît les tenants et aboutissants qui les sous-tendent.

C’est que votre gouvernement n’a pas tout fermé et, lorsque la population a pris connaissance de vos choix, la grogne n’a pas tardé à sourdre. Pourquoi ceci et pas cela? Votre réponse était sans équivoque, aussi calme qu’impérative, se limitant aux grandes lignes d’une cassette déjà connue, se résumant à peu près en ces termes : la prolifération du virus est inquiétante et vous vouliez ralentir sa transmission en réduisant les contacts sociaux. Évidemment, on ne peut pas, en conférence de presse, expliquer chaque décision, revenir sur les tiraillements et les débats qui les ont précédés. Cependant, il me semble que vous auriez pu rendre publics des documents qui étayent un peu mieux les motivations sous-jacentes à celles-ci.

Transparence, cher M. Legault : « Laisser voir ce qui se trouve derrière ». Nous ne sommes pas idiots. Nous pouvons comprendre les nuances, embrasser la nécessité des sacrifices et rejoindre l’effort collectif, malgré nos frustrations individuelles. Cependant, nous aimons comprendre.

Hélas, une fois de plus, l’approche paternaliste de votre gouvernance, se limitant à donner des consignes sans les expliquer, nous force à tirer nos propres conclusions.

Je ne veux pas revenir sur chacune de vos décisions – ce devrait être votre travail –, mais certaines d’entre elles méritent qu’on s’y attarde, parce qu’elles révèlent, plus encore que des prescriptions de santé publique, un mépris de ce qui est au cœur même de notre collectivité : la culture.

En mars dernier, les premières annonces concernaient la fermeture des institutions publiques. On comprenait alors que ces fermetures n’étaient pas directement liées au facteur de transmission de ces endroits, mais au contraire motivées par leur plus grande simplicité de mise en œuvre. Ce qui s’en venait était la fermeture totale de tous les commerces, à l’exception de ce qui était considéré comme un service essentiel.

Cette fois cependant, votre gouvernement et la santé publique ont tracé une ligne. Les critères menant à vos choix sont variables et ne se résument plus exclusivement par le niveau élevé de transmission d’un endroit. Par exemple, les écoles sont ouvertes en dépit de nombreuses éclosions, un choix qui s’explique par de nombreuses raisons, à commencer par la santé psychologique et le développement des jeunes. De la même façon, arénas, centres sportifs et d’entraînement ont bénéficié d’une semaine de sursis, même si la distanciation y est quasi impossible.

Le sport, c’est la santé, dit-on. On pourrait enfin citer l’exemple des salons de coiffure, où la nécessaire proximité entre clients et employés empêche la distanciation prescrite. Ces quelques exemples montrent bien que les décisions adoptées s’appuient sur des règles à géométrie variable. En somme, que ce décret gouvernemental, bien que nécessaire et important, est arbitraire.

Ainsi, depuis le 1er octobre, il n’est plus possible d’aller au musée. Malgré la signature obligatoire du registre à notre arrivée, en dépit du fait qu’il soit la plupart du temps interdit de toucher les œuvres, qu’il soit aisé de contrôler le nombre de personnes en visite et que la circulation y soit aérée : fermé.

Les salles de spectacles, de cinéma et de théâtre, en dépit de l’espace entre chaque siège désigné, du silence des spectateurs qui, incidemment, n’émettent aucune gouttelette, de la facilité d’imposer un registre et, à la rigueur, le port du masque en tout temps : fermé.

Durant le premier confinement, la culture est venue à la rescousse de la redondance des jours en créant des imaginaires où projeter un futur porteur d’espoir.

En initiant des moments cathartiques, la culture nous a libérés de ces jours d’isolements. Mélodieuse, dansante et apaisante, elle a été un rempart contre la détresse.

Elle n’est pas seule responsable de notre salut, mais il ne faudrait pas l’oublier lorsque nous ferons l’inventaire de ce qui nous a sauvés. Préservés. Élevés. Aujourd’hui, tandis que le ciel se couvre à nouveau et que le fossé se creuse entre nos cœurs, on choisit de nous en priver. La tient-on pour acquise? Est-ce qu’il est entendu que les artistes – à qui il ne suffit, croit-on, que d’offrir un peu de visibilité – se livreront à nous, comme une gratuité de service?

J’apprécie votre tentative d’éponger les dégâts en créant un programme d’aide au milieu culturel, mais la portée de celui-ci est limitée et répond aux besoins des organismes et institutions bien davantage qu’aux artistes eux-mêmes. Par ailleurs, tandis qu’internet est un médium de transmission formidable, ses plateformes n’offrent aux artistes qu’une rétribution symbolique et bien peu de quoi mettre du pain sur leur table. Faudra-t-il que les interprètes restreignent leur répertoire à des élégies funèbres, de Jojo à So long Marianne, pour pouvoir s’offrir au recueillement de vingt-cinq invités?

Il importait de sauver les commerçants, j’en conviens. De revenir à cette économie qui place les êtres humains au cœur de nos préoccupations, et je comprends ainsi qu’on ait voulu fermer le moins de commerces possibles. Mais qu’est-ce qui justifie qu’on mette si promptement la clé dans la porte de nos lieux abritant la culture?

On peut s’esquinter sur une allée de quilles, flâner dans les allées des centres d’achats, on peut se faire tripoter le cuir chevelu par notre coiffeur, et il n’y a pas si longtemps encore, on pouvait aller pousser de la fonte et se démener à des sports d’équipe, malgré les contacts. Votre gouvernement et la santé publique sont prêts à admettre un grand nombre de compromis pour permettre ces échanges, mais la culture, elle, est dans le dalot.

Transparence : « Propriété qu’a un milieu de laisser passer les rayons lumineux. »

Pourquoi ne mérite-t-on pas votre transparence? Une information qui s’adresse à notre intelligence, collective et individuelle, plutôt qu’un édit qui, dans sa forme arbitraire et sans compromis, rappelle les punitions que des parents dictent à des enfants repentants d’un mauvais coup.

À l’instar des jours qui raccourcissent, et tandis que nous voilà aux portes du mois des morts, les prochaines semaines s’annoncent sombres. Nous avons besoin de lumière. Du spectre solidaire de l’arc-en-ciel et de sa promesse de sortie de crise. Nous avons besoin de nous rappeler à ce qui nous émeut, aux mailles qui nous tissent, aux œuvres qui transcendent notre condition et aux chants qui nous unissent. Plus que jamais, M. Legault, nous avons besoin de votre transparence.