Le soleil fait bien sentir sa présence en ce samedi midi au Emancipation Park du Third Ward, l’épicentre historique de la culture afro-américaine de Houston.
Il fait chaud, les zones d’ombre se font rares, mais cela n’empêche pas une centaine de personnes d’être en file pour venir se recueillir au mémorial Say their names (dites leurs noms), une initiative populaire nationale de passage en ville qui présente plus de 200 photos de victimes noires dont la vie a été perdue à cause de l’injustice raciale, de la brutalité policière et du racisme.
Dans cette ambiance décontractée imposée par la chaleur accablante, la voix stridente d’un homme vient rompre le silence des recueillements.
«Bonjour, mon nom est James Hudson. Je suis ici au nom de la famille de Joshua Johnson. […] C’est une autre histoire comme toute celle que vous allez voir là-bas», lance le porte-parole de la famille à la foule en pointant du doigt le mémorial.
Le 22 avril dernier, Joshua Johnson, 35 ans, gardait la maison d’une voisine blanche hospitalisée lorsqu’il a été abattu au petit matin par un policier du sud-ouest de Houston. L’agent en question, infiltré ce jour-là, était au volant d’une voiture banalisée et ne portait pas de caméra corporelle.
Selon les autorités, M. Johnson aurait pointé un pistolet vers l’agent, qui s’est avéré être un pistolet à billes, avant que celui-ci n’ouvre le feu. Cependant, une trace de balle retrouvée dans la porte du garage d’un voisin, hors de vue de l’endroit où la fusillade aurait eu lieu, soulève toujours de nombreux doutes sur la version des policiers.
«C’est sur le bureau de la procureur du district Kim Ogg [une démocrate]. On demande à tout le monde d’appeler aux numéros sur le pamphlet et de dire : on veut justice pour Joshua Johnson. No justice, no reelection» (pas de justice, pas de réélection), explique M. Hudson à la foule attentive, qui connaît que trop bien ce genre d’histoire.
«C’est ça notre protestation. On ne demande pas aux gens d’aller dans la rue. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est d’appeler leurs élus. Quand ils auront reçu 200, 300, 400 appels […] c’est ça qui fait bouger les politiciens», ajoute-t-il.
«Allez voter!»
À quelques rues de là, une immense murale arbore la devanture d’un dépanneur qui sert de rare épicerie aux gens du quartier. On y voit le visage de George Floyd et deux messages : Be the change (Soyez le changement) et Go vote (Allez voter).
Une murale (image de couverture) a été dévoilée par la famille Floyd à l’occasion de ce qui aurait été le 47e anniversaire de George, le 14 octobre dernier. Pleine de couleurs, l’immense façade envoie un message clair aux résident.es du Third Ward, le quartier d’enfance de George Floyd, et aux politicien.nes venu.es assister à l’événement.
«Il faut qu’on se batte, Third Ward. Ceux qui ont protesté avec nous, ceux qui comprennent bien ce combat contre le racisme systémique, merci. Dites son nom… et allez voter», lance-t-il en guise de conclusion.
L’approche de la famille Floyd est peut-être moins directe que celle de James Hudson, mais elle a tout autant d’importance pour les personnes de cette communauté qui ont le sentiment d’avoir longtemps été laissées pour compte. Grâce à leurs souvenirs de George Floyd, elles peuvent bâtir sur l’espoir qu’un mouvement mondial a en quelque sorte pris forme dans leur quartier. Elles ont l’impression que leur voix, cette fois-ci, sera entendue.
Difficile de savoir cependant si l’électorat afro-américain se rendra en masse aux urnes d’ici au 3 novembre prochain. En 2016, seulement 60 % de cette tranche de la population inscrite pour voter l’a fait. Mais à Houston, au bureau de scrutin le plus près du Third Ward, ont a pu observer de longues files d’attente au premier jour du vote par anticipation au Texas le 13 octobre dernier.
Certaines personnes se sont même présentées près de deux heures avant l’ouverture des portes à 7 h du matin pour aller voter. Seules ou en groupe, il était important pour celles-ci de venir tôt et de profiter de leur droit de vote si chèrement acquis par leurs ancêtres.
«On a pris le temps de voter [pour l’ensemble des candidats.es]. On sait qui se présente dans les postes judiciaires, au Congrès, partout. On s’est éduquées pour être certaines que notre vote sera pris en compte. En fait, on a comparé nos connaissances au téléphone pour voir qui pouvait avoir un impact positif sur notre communauté», racontent Yvette et son amie à la sortie du bureau de vote.
De son côté, James Hudson est surtout fatigué que son vote soit constamment tenu pour acquis par certains politiciens. Si son choix cette année est assez évident pour la présidence, il espère de meilleures décisions de la part des élus locaux et il leur demande de se commettre pour plus de justice sociale.
«On se concentre trop sur la présidence. Mais il y a ces juges, ces procureurs généraux , ces shérifs, c’est avec eux qu’on deal chaque jour. Il faut se concentrer sur ceux qui peuvent nous donner 10-15 ans de prison», affirme M. Hudson.
«Ce qu’on dit aux gens qu’on a élus dans ces postes c’est : si vous n’avez pas à cœur nos intérêts dans une situation comme celle-ci, pourquoi devrait-on voter pour vous? Et ça ne change rien pour moi si vous êtes démocrates ou républicains», renchérit-il.
Le vote par anticipation au Texas se poursuit jusqu’au 30 octobre prochain. Les élections se tiendront quant à elles le 3 novembre.