Cher Docteur Arruda,
Je vous ai vu ces temps-ci exprimer votre inquiétude au sujet de la hausse rapide du nombre de personnes infectées. Moi aussi je suis inquiet. Mon inquiétude est toutefois motivée en partie par le fait que vous accordez trop peu d’importance à une transmission par aérosols. C’est sans doute la raison pour laquelle la rentrée s’est faite sans imposer à l’avance une ventilation adéquate dans toutes les écoles. Les services d’entretien et de mise à niveau des systèmes de ventilation sont maintenant offerts, mais ils auraient dû l’être bien avant la rentrée, au cours de l’été, et imposés, non seulement proposés.
Je croyais qu’il fallait porter le masque dans les endroits publics fermés, mais vous avez, semble-t-il, décidé de faire une exception pour un million d’enfants dans quelque 40 000 classes du primaire et du secondaire. Je considère absolument prioritaire d’assurer la présence d’un maximum d’élèves à l’école, mais c’était une raison de plus pour s’assurer dès la rentrée d’une bonne ventilation partout dans le réseau scolaire.
Je vous crois lorsque vous affirmez que les personnes présentant des symptômes à l’école ont attrapé le virus à l’extérieur de l’école. Mais dès lors que le virus peut être transmis par aérosols, n’y a-t-il pas un danger évident de propagation du virus dans toutes les classes mal ventilées dans lesquelles se trouvent une trentaine de personnes sans masques et sans distanciation sociale, alors que certaines de ces personnes peuvent être infectées tout en étant asymptomatiques? Que va-t-il se produire dans les classes, ventilées grâce à des fenêtres qui s’ouvrent, lorsqu’il fera froid et qu’il faudra les fermer? Y a-t-il une directive imposant le maintien de fenêtres ouvertes, même si cela doit se traduire par des coûts additionnels de chauffage?
Ainsi donc, la table est mise pour une transmission par aérosols à l’automne, dans 40 000 endroits publics fermés, et alors que la ventilation de plusieurs établissements est encore minimale, voire inexistante. On se contente d’observer que les infections proviennent de l’extérieur de l’école, et que les élèves ne présentent pas de risques, mais à défaut de tomber malades, ne sont-ils pas quand même des vecteurs de transmission? Et s’ils sont eux-mêmes des vecteurs de transmission, peut-on se permettre de négliger la possibilité que l’école soit un lieu de transmission invisible entre personnes asymptomatiques? La transmission par aérosols n’est pas entièrement prouvée malgré l’avis de 239 chercheurs de 32 pays émis en juin, la confirmation par l’OMS émise le 9 juillet et la mise à jour des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis publié le 18 septembre? Cette mise à jour a été retirée presque aussitôt, mais s’agissait-il de pressions politiques? Et de toute façon, que fait-on du principe de précaution?
Parmi les 3089 établissements scolaires, il y avait en date du vendredi 24 septembre 489 écoles dans lesquelles on trouve au moins un cas diagnostiqué, soit 150 de plus que la semaine précédente. Et surtout, 427 classes étaient fermées, soit 200 de plus que la semaine précédente. Toujours en date du 24 septembre, 632 élèves avaient été diagnostiqués positifs et 90 membres du personnel, pour un total de 722 cas, soit une centaine de plus que la semaine précédente. Et cela n’est peut-être que la pointe visible de l’iceberg.
À la Direction de la santé publique, on a tout d’abord décidé de viser les bars, les restaurants et surtout les lieux de rassemblement privés, mais on ne parle jamais des écoles qui sont pourtant des lieux évidents de transmission. Le peu de cas qui est fait de la transmission par aérosols, l’absence de distanciation sociale et d’obligation concernant le port du masque ainsi que le retard concernant la ventilation des classes dans les écoles sont autant de motifs d’inquiétudes citoyennes.
La transmission au sein de l’école peut dans une très large mesure se faire de manière invisible, puisqu’un grand nombre d’enfants porteurs du virus sont asymptomatiques. En ce sens, il ne faudrait pas que l’erreur, cette fois-ci, soit d’avoir négligé de voir l’école comme un terreau fertile de transmission communautaire du COVID-19 entre personnes ne présentant pas de symptômes, mais qui le transmettent quand même massivement sans le savoir.
Vous l’avez dit, M. Arruda, c’est un virus sournois et hypocrite, mais ses ravages sont en train d’éclater alors que l’automne arrive et que les fenêtres de classe sont sur le point de toutes être fermées. Les jeunes parents d’élèves, qui auront eux-mêmes été infectés et asymptomatiques, entreront bientôt en contact avec des personnes plus âgées. L’hécatombe risque donc de se reproduire. Au moment d’écrire ces lignes, une soixantaine d’établissements de personnes âgées (RPA et CHSLD) connaissaient des éclosions, dont cinq en situation critique. L’histoire semble donc sur le point de se répéter.
Partout où cela est possible, les élèves qui sont suffisamment autonomes devraient être invités à faire leurs études à partir de la maison. On pourrait ainsi réduire en partie la présence à l’école des élèves de 4e et 5e années, car leur présence partielle à la maison est compatible avec le retour au travail de leurs parents. Cela permettrait aussi de réduire le nombre d’élèves à l’école et d’assurer une plus grande distanciation sociale. Il ne faudrait pas que l’impératif économique du retour au travail des parents entraîne des solutions mur à mur de présence en classe pour tous les élèves. On aurait pu aussi recommander fortement le port du masque à tous les élèves n’ayant pas de contraintes. Et partout où cela est possible, on devrait maintenir des fenêtres ouvertes alors que s’amorce la saison froide.
Vous avez tardé à reconnaître l’importance du masque et le retard que vous prenez maintenant à reconnaître la possibilité d’une transmission par aérosols est à l’origine du retard à appliquer une mise à niveau du système de ventilation des établissements.
Il est commode de claironner partout que la hausse des cas relève entièrement de la responsabilité des citoyens et de leur trop grande promiscuité dans les résidences privées, car on leur jette alors tout le blâme et on se dédouane de ses propres responsabilités. Or, la vôtre n’est peut-être pas entièrement à négliger.