Gros party de COVID à l’horizon, sans masques, sans distanciation sociale.
Mais que viennent faire les évangélistes dans cette galère contre les mesures sanitaires?
L’organisateur du rassemblement est un certain Carlos Norbal, qui dirige à Montréal l’Église Nouvelle Création, anciennement appelée l’Église Shekinah Gloire. D’autres « ministres » de la même institution, soit Mme Maggie S. Norbal, Daniel St-Hilaire et Patrick St-Onge, feront partie des conférenciers au Parc Jarry.
Carlos Norbal est né à Montréal en 1975, fils d’un père d’origine haïtienne et d’une mère originaire de Sainte-Lucie. Après des études à l’UQÀM en intervention psychosociale, il a fondé son église en 2003, avec son épouse la pasteure Maggie Norbal. Leurs prêches s’adressent principalement à la communauté haïtienne.
Derrière cette apparence de foi apolitique se cache en fait un authentique militantisme politique de droite. Carlos Norbal est un fervent militant du Parti populaire du Canada (PPC) de Maxime Bernier.
L’aura de Maxime Bernier
L’idéateur de l’événement au Parc Jarry s’avère être le « secrétaire » du PPC dans la circonscription de Pierrefonds-Dollard. Quand on consulte la page Facebook du PPC dans ce comté, on peut remarquer que la bannière affiche un Maxime Bernier tout sourire qui serre la main d’Alexis Cossette-Trudel, durant une manifestation anti-masques.
Maxime Bernier ne se gêne pas pour opérer des rapprochements avec Cossette-Trudel, éminent gourou de « Q-Anon », afin de courtiser les 116 000 abonnés.es de sa chaîne Youtube, Radio-Québec. À deux reprises le chef du PPC a interviewé Cossette-Trudel depuis un mois, en le qualifiant de « leader » qui se bat pour la liberté des peuples québécois et canadien.
Bernier néglige bien sûr le fait que Cossette-Trudel est d’abord et avant tout le principal relai de Q-Anon au Québec, théorie conspirationniste d’extrême-droite selon laquelle Trump combattrait vaillamment des élites mondiales « pédo-sataniques ». « Mad Max » souhaite-t-il devenir un « Trump canadien » dans l’imaginaire complotiste?
Toujours est-il que sur la page du PPC – Pierrefonds-Dollard on peut retrouver une photo de Carlos Norbal qui donne une poignée de main à Maxime Bernier, des images de Cossette-Trudel, et une entrevue que Norbal a accordé à André Pitre (alias « Stu Pitt »), là aussi une chaîne Youtube adepte de Q-Anon.
Norbal y explique que l’idée d’organiser l’événement du Parc Jarry est calquée sur son expérience de l’an passé, lorsqu’il avait organisé un gros show évangélique pour promouvoir l’invitation de Maxime Bernier au « débat des chefs » (pour plus de détails, voir le compte-rendu d’Hugo Meunier ).
Notons que l’un des « ministres » de l’Église de Norbal, Patrick St-Onge, était un candidat du PPC en 2019, dans Honoré-Mercier. Il avait été épinglé dans La Presse pour son mauvais usage des réseaux sociaux :
« Le candidat Patrick St-Onge a lui aussi relayé du contenu de LesManchettes.com (extrême-droite), mais également un article de Natural News, site axé sur la santé, banni de Facebook en raison des contenus mensongers et conspirationnistes qu’il publiait. Comme plusieurs de ses collègues, M. St-Onge relaie également les vidéos du conférencier et animateur André Pitre, militant anti-immigration qui, par l’entremise du compte « Le Stu-Dio », sur YouTube, alimente de multiples théories du complot » .
En outre, St-Onge s’était démarqué par des positions radicales contre l’avortement. Mais malgré ces polémiques, il avait tout de même poursuivi sa campagne jusqu’au bout, obtenant moins d’un pourcent des suffrages.
Pour revenir à l’entrevue de Norbal chez André Pitre, le pasteur justifie le rassemblement en affirmant que « l’objectif est d’informer la population de ce qui se passe », parce que les médias sont plutôt dans la « programmation ». Il plaide qu’il faudrait se tourner vers d’honnêtes journalistes qui disent la vérité, comme Stu Pitt…
Il y aurait une sorte de vaste complot pour dépister les enfants et imposer un vaccin « sur nos enfants et nous-mêmes ». Le pasteur ajoute : « De plus en plus, si on ne fait rien, je pense qu’on est en train de se diriger vers une guerre civile ».
L’aura de ThéoVox
Si l’on jette un coup d’œil au programme du Parc Jarry, on peut voir que les deux leaders du Studio ThéoVox, le pasteur Jean-François Denis et son épouse, l’animatrice Nancy Dupont Denis, seront également conférenciers-vedettes.
Dès les premières manifestations anti-confinement, ces évangélistes se promenaient avec le micro à travers les foules pour leurs reportages d’une qualité quasi professionnelle. Au fil de leurs rencontres, ils se sont liés d’amitié avec les porte-parole les plus populaires du mouvement : Stéphane Blais, Daniel Pilon, Steeve « L’Artiss » Charland, Lucie Laurier, Alexis Cossette-Trudel, etc.
En leur tendant le micro, en offrant la tribune et les égards que ces leaders complotistes recherchaient, l’évangélisme de droite a peu à peu percé les hautes sphères du mouvement. Car telle une organisation sectaire, ce sont les gourous les plus influents qui décident de la marche à suivre et des opinions qui méritent d’être entendues. ThéoVox a rapidement gagné leur faveur.
Entrevue avec Anne Marie Tapp
Pour analyser plus avant l’intrusion des évangélistes – et de ThéoVox en particulier – dans le mouvement anti-masques, je propose une entrevue que j’ai menée avec la religiologue Anne Marie Tapp, qui poursuit sa formation à l’UQAM. Elle s’intéresse de près au phénomène, ayant elle-même vécu le fondamentalisme évangéliste dans sa jeunesse.
Xavier Camus : Qu’est-ce que ThéoVox et quel est leur intérêt?
Anne Marie Tapp : ThéoVox est une coalition de gens croyants, ils sont sans malice a priori, ils ne veulent que propager le message de Jésus-Christ. Ils utilisent la « sola scriptura », c’est-à-dire que l’action de l’homme ne peut changer le destin parfait prévu par Dieu, ça ne sert à rien de se protéger contre le virus puisque c’est Dieu qui est en contrôle.
Les sectes protestantes les plus fermées refusent que leurs membres aillent voir des médecins. Mais eux semblent plus libéraux puisqu’ils ont même des kiosques durant les rassemblements de Stéphane Blais.
XC : ThéoVox est-il conservateur?
AMT : Pour bien des évangélistes, c’est un péché d’être homosexuel, that’s it, that’s all. Pensons au chanteur Richard Picotin : dans la francophonie protestante, on le chantait à l’église, lorsqu’il a fait son coming out, il a été déchu et abandonné. (Mme Tapp me montre une vidéo de ThéoVox dans laquelle Jean-François Denis juge que l’homosexualité est « immorale » et que des conjoints de même sexe ne peuvent se marier sans injurier Dieu).
Pour l’avortement je n’en parle même pas, c’est un meurtre du point de vue évangéliste conservateur. Même si ça vient d’une violence sexuelle. Cautionner le meurtre demanderait beaucoup de pardon.
Pour ce qui est de l’éducation sexuelle aux enfants, pour eux ce serait de la « pourriture » (c’est le titre de l’un de leurs articles).
XC : ThéoVox est-il influent?
AMT : Ça fait penser à « Évangélisation 2000 », mais il n’y avait pas vraiment de médias importants au niveau du protestantisme. Puis est arrivé le « Live Gospel Café », qui avait des radios, des émissions, ils placardaient des autobus sur la Rive-Sud de Montréal. Ils ont toutefois été poursuivis pour fraude et se sont déplacés dans un pays du sud. ThéoVox est arrivé maintenant et est présenté en grand vainqueur, grand étendard de la parole de Dieu.
XC : Doit-on redouter les évangélistes de droite?
AMT : En général ils ne sont pas si nombreux, mais conservateurs et en rébellion : ils ont besoin d’affirmation. Ils se sentent chassés, moins bien vus qu’avant. Ils vont se défendre avec une force encore plus grande. Ils souhaitent avoir un porte-étendard, c’est là que ThéoVox entre en ligne de compte.
Conclusion
La nébuleuse complotiste paraît donc être une coalition de divers groupes qui n’arrivent pas à satisfaire leurs revendications dans un monde trop « moderne » pour eux : les évangélistes conservateurs, mais aussi les adeptes de Q-Anon, les pro-Trump, les pro-Bernier, les ex de La Meute et de Storm Alliance. La question du masque devient presque secondaire dans un tel contexte.
Dans leurs manifestations, on appelle carrément à renverser le pouvoir pour instaurer un régime neuf, qui pourrait répondre à leur idéaux traditionalistes. La pandémie offre aux complotistes de droite le prétexte qu’ils recherchaient pour enfin souder leurs alliances et fantasmer à un coup d’État, qu’ils n’obtiendront sans doute jamais.