« Depuis plusieurs années, il y a une pénurie de logement partout au Québec, et Parc-Extension ne fait pas exception; les taux d’inoccupation y sont exceptionnellement bas », explique Catherine Lussier, organisatrice et responsable des dossiers montréalais au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), un réseau panquébécois d’organismes qui défendent le droit au logement. « Depuis longtemps, le parc locataire à Parc-Extension est mal entretenu, il y a un certain laisser-aller, donc…quand quelqu’un a moins de moyens, il va vivre à Parc-Extension. » Selon Mme Lussier, l’inauguration en 2019 du nouveau campus des sciences de l’Université de Montréal a exacerbé la pénurie de logements et provoqué une vague d’embourgeoisement et de conversion de logements.

« Maintenant, il y a plus de gens qui veulent venir vivre à Parc-Extension, et il y a des spéculateurs qui veulent profiter de cette situation pour vendre leurs bâtiments, augmenter les loyers ou procéder à des rénovictions. »

Elle ajoute que le quartier compte beaucoup de nouveaux arrivants qui ne parlent pas toujours français et ne connaissent pas toujours leurs droits – une tempête parfaite pour le déplacement des familles locataires.

Le Plaza Hutchison, entré dans la ligne de mire d’une firme de développement immobilier en 2017, a une grande importance symbolique pour ce quartier « tissé serré», selon Catherine Lussier. Il fut pendant de nombreuses années une plaque tournante pour les résidents et résidentes de Parc-Extension, explique Hamid Latifi, un résident du quartier et un organisateur du groupe citoyen Parc Ex Contre la Gentrification (PECG). « Quand tu sors du métro Parc, tu passes devant, donc si tu vis dans le quartier et tu te déplaces en métro, tu passes devant plusieurs fois par jour », dit-il. « C’est un endroit qui a connecté la communauté. Il y avait des magasins, une école de musique, une station de radio communautaire, et j’en passe. Tout cela est dispersé maintenant. »

Le bâtiment avait été acheté en 2017 par BSR Groupe, une firme de développement immobilier, qui avait pour but de convertir le bâtiment abritant alors plusieurs étages d’appartements en « appartements de luxe », selon un reportage de CBC de l’époque. Le projet fut rapidement contesté par de nombreux membres de la communauté, dont les militants et militantes de PECG et du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE).

« Nous avons mené plusieurs marches, nous sommes allés faire entendre nos voix au conseil municipal, nous avons organisé des évènements où nous avons distribué de la nourriture et des dépliants, et nous avons organisé des évènements de discussion avec les membres de la communauté », résume Hamid Latifi. « Le 31 août dernier nous avons organisé une marche à travers le quartier, où nous avons sensibilisé plein de personnes et nous avons constaté les progrès en termes de sensibilisation.»

Une victoire incomplète

En conférence de presse, Giuliana Fumagalli, la mairesse d’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, a souligné l’importance de la mobilisation sociale dans le débat sur l’avenir du site. Pour Catherine Lussier, il s’agit d’une « victoire collective. »

« Les locataires se sont mobilisés, et maintenant, de nombreuses familles pourront rester dans le quartier », dit-elle. En conférence de presse, Robert Beaudry, conseiller municipal et responsable du logement au sein du comité exécutif de la ville, a fait savoir que la ville attendait le déblocage par Ottawa de 1.4 milliard $ de financement promis pour le logement abordable, dont une partie doit ensuite être déboursée par Québec, afin de revendre le bâtiment à un organisme à but non lucratif avec la capacité de construire les logements pour la ville. [NDLR : une entente entre Québec et Ottawa sur le financement du logement social a été annoncée jeudi soir.] À la suite de ce processus, dont l’échéancier n’est pas encore clair, la construction devrait prendre environ un an.

Le bâtiment hébergera alors 40 familles – une goutte d’eau dans l’océan pour les 3000 locataires de l’arrondissement qui, selon Mme Lussier, ont besoin d’hébergement stable et abordable.

Hamid Latifi reconnaît qu’en achetant le bâtiment, Montréal répond à l’une des demandes des militant.es. Cependant, il n’est pas entièrement satisfait de l’approche de la ville. « Nous avons toujours été en faveur du rachat du bâtiment [par la ville], mais nous voulons que son avenir soit décidé par les membres de la communauté. La ville dit aussi qu’elle a besoin de l’argent fédéral, mais si elle définançait la police pour investir dans le logement social, elle aurait l’argent nécessaire. Si l’argent gaspillé sur la surveillance de nos citoyens est réinvesti dans nos communautés, peut-être qu’on arrivera quelque part. »

Les chantiers de l’avenir

Robert Beaudry voit la mobilisation sociale autour du Plaza Hutchinson, et plus récemment autour d’un autre bâtiment de Parc-Extension, le 7965 Boul. d’Acadie, comme un « symptôme » des problèmes répandus dans le secteur du logement. « Comme les taux d’inoccupation, [la mobilisation] est un signal qui nous dit où sont les besoins. »

M. Beaudry explique que la ville a invoqué le droit de préemption sur environ 300 propriétés dans la ville, dont 120 à Parc-Extension. Il explique que quand la ville invoque son droit de préemption sur une propriété, le propriétaire doit prévenir la ville dès qu’il accepte une offre d’achat venant d’un tiers. La ville peut alors se substituer à l’acheteur et acheter le bâtiment en priorité à un prix compétitif, selon les conditions de l’offre d’achat.

« On n’achètera pas toutes les [300] propriétés, mais on se donne des options », explique M. Beaudry, qui travaillait en prévention de l’itinérance avant d’entrer en politique. Il ajoute que le 7965 Acadie fait partie des propriétés sélectionnées, mais que la ville ne peut pas agir avant la déposition d’une offre de vente par un tiers. Avec le droit de préemption, il considère que la ville « s’est donné les outils d’agir » contre la pénurie du logement.