Oui, le définancement de la police est un projet politique. Le mouvement remet en question la place centrale de la police en matière de sécurité publique et de prévention de la criminalité ainsi que l’autorité et la militarisation grandissante de celle-ci. L’accroissement des pouvoirs de la police – étroitement lié à la permanence des dispositifs antiterroristes – est d’ailleurs très bien documenté par la recherche scientifique et les enquêtes journalistiques (Voir ici et ). Qu’elle vise un changement radical ou qu’elle défende le statu quo, toute réforme de la police repose sur une certaine vision du monde, des comportements déviants ou criminels, du rôle de la police dans nos sociétés et des savoirs jugés utiles et légitimes. Dès lors, appeler à la réduction des pouvoirs de la police n’est pas plus politique qu’accepter et souhaiter l’accroissement de leurs pouvoirs et de leurs ressources.

Contrairement à ce que laisse entendre le chercheur, la dimension politique ne dessert en rien le mouvement pour le définancement de la police.

En tant que coalition d’organisations de la société civile et de l’antiracisme, le mouvement bénéficie même d’une forte légitimité démocratique. Les réformes policières antérieures, souvent entreprises de manière technocratique, et parfois confisquées par des syndicats de police au mépris de l’intérêt général, ne pouvaient se prévaloir d’une telle légitimité.

L’illusion de l’objectivité

Dans une précédente contribution à La Presse, le criminologue fait l’éloge des réformes de la police mises en place à New York dans les années 1990. Ces réformes sont pourtant très politiques. En effet, l’expérience new-yorkaise de tolérance zéro repose sur une « théorie de la vitre brisée » vivement critiquée pour son manque de scientificité, et reste étroitement associée à des acteurs conservateurs et à l’idéologie managériale et néolibérale.

Choisir d’ériger l’expérience new-yorkaise en modèle à suivre relève moins d’une démarche scientifique que politique tant des doutes existent quant à l’efficacité réelle des mesures adoptées (Voir ici, ici et ). Des travaux montrent que l’histoire de la tolérance zéro est avant tout celle du succès d’un slogan. La tolérance zéro réactive en effet des images de fermeté, de volontarisme et de virilité (Voir ici, ici et ), et surfe sur le supposé « bon sens » de l’approche policière et pénale.

À cela s’ajoute la façon dont le chercheur mobilise de manière stratégique la rhétorique de la peur – « sans police, c’est le chaos », lance-t-il – ainsi que les exemples censés faire effet de repoussoirs. Plus précisément, il essaie de nous convaincre en associant la situation sécuritaire du Salvador, d’Haïti et du Mali à la faillite de leurs institutions policières respectives. En réalité, l’explication s’avère extrêmement réductrice tant elle fait complètement abstraction des conséquences de la colonisation, des régimes autoritaires et du rôle des puissances étrangères. Ignorer de telles clés de compréhension n’est évidemment pas neutre.

L’invisibilisation des savoirs comme violence

Non, le mouvement pour le définancement de la police n’est pas un projet sans fondement scientifique. Il s’appuie sur un ensemble de recherches, notamment en criminologie critique, décoloniale, postcoloniale, africaine et autochtone. Celles-ci mettent en évidence le rôle historique de la police et du système pénal dans le contrôle social et la répression des classes paupérisées, des organisations ouvrières ainsi que des populations colonisées et racialisées. Prétendre que le mouvement « n’est basé sur aucune science », c’est donc refuser d’accorder une quelconque légitimité scientifique à ces travaux.

Ici, l’enjeu n’est pas seulement scientifique, il est aussi éthique. Ignorer ces recherches revient à invisibiliser les expériences et les voix des groupes marginalisés que ces travaux entendent précisément mettre au centre des débats. Ignorer ces recherches permet également à Marc Ouimet, dans la vision policière et pénale qui est la sienne, d’attribuer la violence dans les communautés autochtones à un prétendu laxisme des pouvoirs publics. Cela l’autorise même à affirmer, dans le mépris le plus total à l’égard des communautés colonisées et racialisées, que l’État et la justice « ont permis de faire reculer la violence dans les sociétés ». De tels propos sont révélateurs de la façon dont le discours criminologique, derrière une neutralité autoproclamée, peut contribuer à l’oppression des populations.

Si le mouvement pour le définancement de la police n’est pas plus politique que l’analyse de Marc Ouimet, il est certainement plus scientifique et plus éthique. Alors, on prend le risque d’aller de l’avant?

Nordin Lazreg, docteur en science politique et chercheur et analyste en politiques publiques et prévention de la criminalité