J’y découvre, autour des différentes interventions, un vaste mouvement de résistance face aux ingérences et aux invasions perpétrées par les É.-U. et leurs alliés, dont le Canada.

Une forme d’appel à des nationalismes révolutionnaires, mais inclusifs et fondés sur un combat commun pour l’autodétermination et la souveraineté des peuples face à une nouvelle colonisation, cette fois par l’entremise de la mondialisation des marchés et des assauts répétés de la haute finance et de ses tentacules transnationales.

C’est cet esprit qu’on retrouve dans Le journal de Bolivie, le plus récent film du réalisateur Jules Falardeau qui, cette fois, compte sur la collaboration de son camarade Jean-Philippe Nadeau-Marcoux. Un film dans lequel les documentaristes suivent un groupe de jeunes militants politique à travers un pèlerinage qui souligne le 50e anniversaire de la mort de Che Guevara, assassiné en 1967 par des forces boliviennes entraînées par des Bérets verts américains

Un projet qui relève d’ailleurs de l’exploit, à une époque où notre cinéma politique souffre d’une trop grande dépendance face à des institutions qui agissent généralement en véritables gardiens du statu quo.

Le pèlerinage politique d’un cinéaste engagé

Jules Falardeau a grandi bercé par les récits de ces luttes d’émancipation et de libération nationales que lui racontait son regretté père. Naturel pour lui, donc, de chercher à rendre compte de cette admiration que portent nombre de gens, militants ou non, envers un homme qui a lutté contre un gouvernement bolivien corrompu et à la solde de son suzerain américain, tué non pas parce qu’il «violait les droits humains», mais bien parce que son combat s’opposait ultimement aux intérêts d’un pays empire qui, encore aujourd’hui, jouit du soutien moral de nos propres populations, repues et aveugles à la souffrance du monde.

À la manière de cette grande marche sinueuse dans l’épaisse jungle bolivienne sur les traces des derniers moments du Che, Falardeau et Nadeau-Marcoux dévoilent les méandres des grandes luttes politiques qui jonchent notre histoire, celles qu’on cherche toujours à ne teinter que de noir et de blanc, sans nuances. Combien de fois nos grands prêtres des temples académiques, médiatiques et politiques ont-ils diabolisé sans réserve des hommes comme Che Guevara et, du même souffle, d’autres leaders révolutionnaires tels qu’Aristide, Chavez, Sankara, Khadafi qui ont comme dénominateur commun leur adhésion à une philosophie politique de gauche et aux antipodes des dogmes impérialistes?

Double standard

Le cinéaste Félix Rose a d’ailleurs lui aussi subi ce double standard dans la foulée de la sortie de son film Les Rose, un portrait intime de son père Paul, felquiste et membre de la cellule Chénier qui avait enlevé et tué Pierre Laporte, notamment par des commentateurs s’affichant comme indépendantistes.

Que penser de ce jugement injuste face à l’épopée du FLQ, mais aussi à tous ceux et celles qui voient la prise d’armes comme la dernière solution face à un cul-de-sac politique mis en place par le pouvoir? Ces jeunes hommes qui, opposés à la conscription durant la Deuxième Guerre mondiale, se sont tournés vers l’action directe? Ces communistes qui se sont embarqués pour l’Espagne au sein du bataillon Mackenzie-Papineau pour aller lutter contre le fascisme pendant que nombre de bons catholiques canadiens-français adulaient Mussolini, Hitler et Franco? On oublie aussi trop souvent que la Résistance française, fondée sur le patriotisme et la lutte contre Berlin et Vichy, était surtout composée de gauchistes, à plus forte raison après la rupture du pacte entre Hitler et Staline, pendant que le clergé français appelait à soutenir Pétain.

L’IRA irlandaise?

Tous ces militants autochtones opposés depuis des siècles au colonialisme et qu’on cherche à faire passer pour de dangereux subversifs?

Du même souffle, pourquoi applaudit-on devant des atrocités commises contre des peuples entiers sous prétexte de les «libérer» de tyrans alors que nous participons indirectement, dans les urnes, à perpétuer un empire qui détruit la planète entière, qui balafre la beauté du monde, qui conquiert tant par les armes que par les marchés financiers, sans parler des proverbiales manigances de coulisses gracieuseté des agences de renseignement?

Parlant de Khadafi, je me rappelle de Konna, ce petit village au nord du Mali que j’ai rapidement traversé en janvier 2013, où une affiche avait survécu aux bombardements et aux combats entre jihadistes et soldats maliens et français. On pouvait y lire que les infrastructures avaient été financées par le gouvernement libyen avec, bien entendu, une photo du dirigeant de la Jamahiriya. J’ai posé la question qui me brûlait les lèvres alors qu’on approchait du deuxième anniversaire de l’opération de renversement du gouvernement libyen : comment était perçu Kadhafi au Mali?

Très positivement, surtout au nord, m’a-t-on dit.

Un peu de la même manière qu’un carrefour giratoire à l’entrée de l’aéroport Toussaint-Louverture à Port-au-Prince porte le nom de Place Hugo-Chavez.

N’est-il pas ironique que ces «monstres» jouissent d’un statut quasi mythique au sein des peuples opprimés, surtout chez leurs classes populaires?

Cinéma-guérilla

À l’image du combat du Che, c’est une véritable guérilla qu’ont mené Falardeau et Nadeau-Marcoux devant le refus catégorique des institutions officielles de soutenir financièrement leur projet. Pourtant, le cinéaste Félix Rose a réussi de son côté à obtenir de l’ONF un accord de coproduction via sa propre boîte, Babel Films, pour son documentaire.

On doit dire que dans le contexte géopolitique actuel, financer un film qui porte sur la lutte de libération de la Bolivie pendant que le Canada soutient activement à miner la démocratie en Amérique latine en soutenant le coup d’État contre le président Evo Morales aurait été assez étonnant, surtout de la part des bailleurs de fonds fédéraux (ONF, Téléfilm Canada, Conseil des Arts du Canada).

C’est donc sur leurs épaules que les documentaristes ont décidé de porter leur film, aidés par une vaste campagne de sociofinancement, un spectacle-bénéfice tenu au bar Le Terminal à Montréal en juillet 2017 et la force de leur résilience, un trait que Falardeau a très certainement hérité de son père.

Ce qui amène cette question cruciale : comment faire du cinéma politique au Québec?

La réponse, à même la question, reflète l’importance – et l’urgence – de s’y investir.

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