Ces polémistes avaient importé un puéril débat lancé en France, où quelques municipalités avaient décidé d’interdire le burkini. C’était quelques mois à peine après le mouvement #JeSuisCharlie qui prétendait que la « liberté d’expression » est une valeur fondamentale des Lumières. À croire que les Charlies préfèrent l’obscurité aux Lumières et considèrent que la « liberté d’expression » ne compte plus du tout, quand une femme veut exprimer sa foi, surtout si elle est musulmane…

Cette nouvelle attaque contre des Musulmanes permettait en même temps d’attaquer les progressistes, comme d’habitude. L’édition du 18 août 2016 du Journal de Montréal est un cas d’école. Elle proposait deux chroniques qui fustigeaient en simultané le burkini et les progressistes qui « infestent » — lisait-on — les médias et l’université, l’une signée Richard Martineau et l’autre par Lise Ravary, intitulée « Pourquoi le burkini me choque ». La polémiste réussissait du même souffle à reprocher aux féministes d’être déconnectées du vrai peuple et à évoquer ses vacances dans de « magnifiques centres de villégiatures 5 étoiles au bord de la mer Morte, du côté jordanien ». Charmant.

Le même jour, le chroniqueur Joseph Facal ridiculisait la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec (PLQ) qui proposait une réflexion sociale sur le « racisme systémique » (déjà!). Enfin, Mathieu Bock-Côté proposait une chronique dans laquelle il affirmait que « les nouveaux curés dominent les médias, les réseaux sociaux et l’éducation. »

Ce délire paranoïaque est d’autant plus ridicule que Bock-Côté a signé en cette seule journée du 18 août, en plus de sa chronique sur les « nouveaux curés », deux textes contre le burkini « Pourquoi la gauche inclusive embrasse le burkini » dans Le Journal de Montréal et « Burkini : derrière la laïcité, la nation » dans Le Figaro. Journée très rentable, pour cette victime de la censure.

Toujours le 18 août, Le Journal de Montréal proposait des articles sur la promesse de la CAQ d’interdire le burkini, sur le débat en France, sur des musulmans qui voulaient rejoindre l’État islamique et, enfin, sur le fils d’Oussama ben Laden. En cette seule journée, le quotidien publiait donc 10 textes présentant l’islam ou l’islamisme comme un problème, sur un total de 26 pages (les seules pages épargnées, ou presque, étant réservées aux sports.

Les éditions du 22 et 24 août du Journal de Montréal proposaient à leur tour plusieurs chroniques contre le burkini entre autres :

Enfin, le 27 août, Le Journal de Montréal publiait une entrevue avec une femme de Laval portant le burkini. On y apprenait peu de choses. Or selon des femmes musulmanes, le port du foulard s’explique par de multiples raisons : respect de prescriptions vestimentaires, expression d’une citoyenneté spirituelle, distinction de classe, marque d’émancipation face à la famille, dénonciation d’un féminisme laïque néocolonial prônant l’interdiction du voile, retournement du stigmate comme signe de fierté, signe d’une solidarité transnationale, etc…

Quant au burkini, l’ex-porte-parole du Centre Culturel Islamique de Québec, Souheila Djaffer, avait expliqué en 2014 qu’elle le portait par conviction religieuse, et non par soumission à son mari. D’ailleurs, elle est mère monoparentale.

Mais tout cela n’a aucune importance pour nos polémistes en guerre culturelle. Le lendemain, l’attaque conjuguée contre les musulmanes et les progressistes reprenait d’ailleurs de plus belle dans Le Journal de Montréal, avec de nouvelles chroniques de Richard Martineau : « Le mensonge des défenseurs du burkini » et de Lise Ravary : « Tolérer l’intolérable » ainsi que d’une lettre d’un lecteur : « Le burkini politique ».

Malheureusement de retour de vacances, la chroniqueuse Denise Bombardier s’est lancée à son tour dans le « débat » en signant deux chroniques, le 3 septembre pour épingler les « islamogauchistes » et « les féministes radicales », et le 12 septembre contre « le djihadisme féministe ».

En trois semaines, Le Journal de Montréal avait donc publié une douzaine de textes critiquant du même souffle les Musulmanes et les progressistes « islamogauchistes », et un seul chroniqueur pouvait en avoir signé 2 ou 3 sur le sujet.

Même s’il importe peu de savoir combien de femmes portent le burkini, il est tout de même ridicule de constater qu’il y a sans doute eu cet été-là, finalement, plus de textes à ce sujet dans Le Journal de Montréal que de véritables burkinis sur les plages du Québec.

Mais malgré l’intensité de cette panique culturelle, on n’a plus jamais entendu parler du burkini et on ne trouve sur les plages du Québec aucun mémorial célébrant la mémoire de nos frères — et nos sœurs — morts au combat en nous protégeant contre l’invasion des burkinis. La raison en est simple : cette guerre imaginaire n’a jamais eu lieu, pas plus que l’invasion d’extra-terrestres mise en ondes par Orson Wells. Il ne s’agissait que d’une autre campagne d’agitation politique des forces conservatrices et réactionnaires.

Se replonger dans cette polémique ridicule nous permet de bien mettre en lumière quelques trait de la pensée islamophobe : elle provoque et entretient de fausses polémiques, qu’elle abandonne d’ailleurs la saison suivante pour en lancer une nouvelle.

Se replonger dans cette polémique ridicule nous permet de bien mettre en lumière quelques trait de la pensée islamophobe : elle provoque et entretient de fausses polémiques, qu’elle abandonne d’ailleurs la saison suivante pour en lancer une nouvelle ; elle s’exprime comme un chœur de loups en meute, puisqu’il n’y a eu dans Le Journal de Montréal aucun (zéro) texte défendant une position différente au sujet du burkini ; elle fonctionne comme un fusil à deux coups, car il s’agit toujours de critiquer à la fois les Musulmanes et les progressistes.

Enfin, se souvenir de cette polémique artificielle aide à comprendre que l’appui à la Loi « sur la laïcité de l’État », souvent présentée comme modérée et raisonnable, cache chez plusieurs polémistes une obsession paranoïaque face à des signes religieux et un puissant désir d’exclure des musulmanes de simples lieux de détente, par exemple la piscine ou la plage.