Voici ce qu’il écrivait en guise de chute :
«Il serait trop long d’expliquer pourquoi, mais, sur le fond, c’est parce qu’il est impossible de définir le fascisme de façon satisfaisante sans admettre certaines choses que ni les fascistes eux-mêmes, ni les conservateurs, ni les socialistes, quelle que soit leur couleur ne sont prêts à admettre. Tout ce qu’on peut faire pour l’instant c’est user du mot avec une certaine circonspection et non, comme on le fait généralement, le ravaler au rang d’injure.»
Difficile de ne pas voir de parallèle entre ce qu’écrivait l’auteur de 1984 il y a 76 ans et ces accusations de fascisme dispersées à tout vent dans le discours public depuis… Impossible de savoir depuis quand, en fait.
Livrons-nous donc alors à un exercice de pensée et reculons dans le temps jusqu’à la révolte étudiante de 2012, alors que ces dizaines de milliers de citoyen.ne.s québécois.e.s prenaient les pavés d’assaut pour dénoncer une hausse ubuesque des frais de scolarité au Québec. Le gouvernement de Jean Charest avait alors choisi de répondre avec un des outils préférés des régimes kleptocratiques : la matraque, ici celle de la Sûreté du Québec, police politique, dont la devise pourrait être reformulée en «Protéger (l’État) et servir (l’État)». Celle aussi du Service de police de la Ville de Montréal, qui ne comprend toujours pas, à ce jour, que la solidarité syndicale est une route à deux sens et qui est toujours prête à déchaîner ses goons casqués pour maintenir un ordre qui, quand on y pense, n’a rien de public, du moins au sens «citoyen» du terme.
Pourtant, aux dires de nombreux commentateurs et commentatrices, les «vrais fascistes» étaient… dans la rue, à enfoncer dans la gorge du peuple des couleuvres socialistes!
Et rebelote jusqu’en 2020 – les médiacrates serviteurs du pouvoir continuent de traiter de fascistes les féministes, les syndicalistes, les écologistes, les militant.e.s antiracistes, etc.
On fiche et on harcèle des dissident.e.s politiques, sous les applaudissements d’une population privée de ses sens par le bruit assourdissant du tonnerre de la médiocratie.
Les président.e.s de multinationales? De bons citoyen.e.s corporatifs. Les politicien.e.s de droite, incluant les plus radicaux, au service des intérêts de leurs maîtres et non de leurs électeurs? Une voix représentative et nécessaire en démocratie. Les groupes d’extrême-droite qui se multiplient comme des métastases et qui se montrent au grand jour dans des manifestations faméliques (de moins en moins) pour crier leur haine sous la bienveillante protection de la police? Des «paradeurs folkloriques», pour reprendre les mots qu’un polémiste quérulent refusera toujours de ravaler.
«Les antifascistes sont les vrais fascistes!», aboient en chœur les chiens de garde du pouvoir, dans leurs micros commandités par des concessionnaires de camions ou devant leur clavier alors qu’ils crient à la censure dans leurs chroniques publiées dans le plus gros empire médiatique de l’histoire du Québec.
Les vrais fascistes, ce sont aussi, pour d’autres, ceux et celles qui soutiennent la mise en place de mesures sanitaires temporaires qui nous plongent lentement mais sûrement vers la dictature, discours colporté par des communicateurs encore plus véreux, malhonnêtes et cupides. Ce discours, il existait même en 1919, en pleine pandémie de la grippe espagnole, alors que des gens se mobilisaient contre le port de masques de protection.
Un discours dangereux qui encourage des comportements dangereux pour des milliers de personnes à risque. Le fondement réel de ce discours? Sauver l’économie, la prioriser devant la santé d’autrui, dénoncer une sorte de totalitarisme médical — discours par la suite perverti davantage et transformé en délire conspirationniste.
Où sont les matraques? Où sont les amendes?
Où sont ces gens quand le fascisme, au sens que lui donne le dictionnaire Oxford de politique, s’incarnait alors que l’État frappe de son bras armé sans relâche sur sa jeunesse? Quand des multinationales déchaînent des armées d’avocats sur des communautés qui refusaient que leur territoire soit jonché de foreuses et de pompes à huile? Quand les peuples autochtones, dont les droits sont piétinés depuis des siècles, demandent justice? Quand on jette l’éclairage sur un racisme systémique, mais si pernicieux qu’on le relègue à des actes isolés? Quand des travailleurs et des travailleuses revendiquent des conditions de travail qui ne les garderont pas dans une inexplicable pauvreté? Quand l’armée sert de sous-traitant à l’impérialisme occidental?
De ces questions surgit un triste constat — l’existence d’une tyrannie des gros payeurs de taxes.
Ceux et celles qui ont l’oreille du pouvoir, de la police, des grands médias.
La tyrannie de ceux et celles pour qui tout progrès social représente une menace (non-fondée) à leur petite prospérité individuelle et qui avalent sans mâcher la propagande néolibérale qui les convainc que la source de leurs problèmes, c’est le petit, le pauvre, l’immigrant, le syndicaliste, et non le patron qui coupe ses avantages sociaux et qui achète aux gouvernants le droit de se sauver de l’impôt.
La tyrannie de ceux et celles qui s’acculturent volontairement en dénonçant le mécénat du trésor public, mais qui gobent sans reprendre leur souffle les fadaises commerciales américaines au point où ils finissent par les confondre avec leur propre culture.
La tyrannie de ceux et celles qui, en vertu de leur avis de cotisation annuel, s’attribuent une sagesse factice, un mirage entretenu par un système politique et médiatique qui dit parler en leur nom en les appelant «le peuple», mais qui en fait les méprise.
Une tyrannie un peu inapte cela dit, dans laquelle, ironiquement, les tyrans deviennent leurs propres victimes et dans laquelle, au final, nous subissons tous et toutes la même torture, par les mêmes bourreaux.