Je le dis d’emblée, je ne peux qu’envoyer tout mon amour et toute ma solidarité aux survivantes, à toutes celles qui osent prendre parole et aux autres pour qui ce n’est pas une option. Je vous crois et je suis remplie d’admiration. Quiconque s’est déjà baigné dans l’océan sait très bien que parfois les vagues peuvent nous renverser même quand on a les deux pieds enfoncés dans le sable; imaginez le courage que ça prend pour se lancer et parler d’un geste aussi grave que celui de s’être fait agresser en sachant qu’on risque de se faire ramasser par tous ceux et toutes celles qui nient l’existence même de la culture du viol. C’est un acte terrifiant et libérateur de nommer son agresseur, de ne plus se laisser ronger par la honte, la peur, la culpabilité. Je nous souhaite de ne plus jamais être silencieuses.
Il faut toutefois être très borné ces derniers temps pour continuer de croire que tout va bien et qu’il n’y a pas de problème dans la façon violente dont les hommes se comportent avec les femmes. Il y a un mot pour ça en anglais : entitled. Je n’ai pas trouvé de traduction satisfaisante pour décrire ce sentiment qu’ont les hommes lorsqu’ils croient que tout leur ait dû, y compris le corps des femmes, avec ou sans consentement.
Ce que je trouve par contre fascinant, plus particulièrement avec les dénonciations concernant des figures connues du milieu artistique ou des cercles militants, voire politiques, c’est qu’absolument tout le monde était au courant d’histoires trash à propos d’au moins un des hommes dénoncés. Personne n’est tombé en bas de sa chaise en lisant certains des noms, c’était connu et su. Ça se parlait entre nous, malgré les menaces ou le gaslight; des murmures de coin de bouche, l’angoisse d’en dire trop, mais l’urgence d’avertir des potentielles victimes.
Et pourtant, ces gars-là ont encore des jobs dans leur milieu, que ce soit le milieu culturel ou ailleurs, et c’est injustifiable. Alors que Maripier Morin a perdu tous ses contrats, on attend encore que la pareille se produise pour les autres. Loin de moi l’idée de minimiser les gestes reprochés à l’animatrice, mais c’est assez ironique de constater que le fameux double standard auquel sont soumises les femmes s’infiltre jusque dans les conséquences réservées aux agresseur.e.s.
J’ai aussi remarqué un autre phénomène : celui des gens silencieux, ceux et celles qui gravitent, en ce moment ou dans le passé, autour des hommes dénoncés. J’espère que c’est parce que vous vivez des grands moments d’introspection, pas parce que vous vous cherchez une porte de sortie. En restant silencieux et silencieuse devant l’impardonnable, devant l’inacceptable, on s’en rend complice. Prenez vos responsabilités et arrêtez de légitimer les agresseurs, même si ce sont vos bons chums, même si vous croyez qu’ils ont changé. On ne change pas sans entreprendre une démarche longue et éprouvante en thérapie, point final.
Quand je ne suis pas en train de jaser d’Occupation Double avec les Ficelles, je suis intervenante sociale. Alors évidemment, je crois que les agresseurs peuvent cheminer – je ne pourrais pas pratiquer mon métier si je n’y croyais pas. J’ai eu la chance de faire un stage très long lors de mes études (8 mois, 30 heures par semaine) dans un organisme qui offre de la thérapie de groupe en réinsertion / réhabilitation pour les hommes reconnus coupables de violence conjugale – et bien souvent, ça inclut les violences sexuelles. C’est un programme provincial ontarien qui roule depuis plus de 25 ans et qui a été construit de toutes pièces par des sommités en intervention féministe et en violence conjugale, un programme qui repose sur l’accountability sans jamais excuser les gestes des agresseurs. J’en ai vu passer des hommes dans nos locaux en 8 mois. Moi, j’étais la fille en avant qui animait les discussions. Qui écrivait des rapports sur leurs progrès. Qui faisait des recommandations à la cour pour leur sentence ou leur libération conditionnelle. Qui accueillait aussi trop souvent des confidences sur leur passé plein d’abus et de traumas, et qui devait quand même leur dire que ça n’excuse pas les gestes qu’ils ont commis.
J’ai vu des choses extraordinaires là-bas, comme j’ai aussi côtoyé le pire de l’humain. Mais même dans des conditions parfaites à la réhabilitation comme celles-là, on pratiquait plutôt la réduction des méfaits (harm reduction) parce que la plupart de nos clients allaient récidiver. On se disait souvent que l’objectif était de faire en sorte que la prochaine fois qu’un homme serait en colère et voudrait frapper quelque chose, il aurait le réflexe de frapper le mur et pas sa conjointe.
Ce programme n’existe pas au Québec. Il n’y a pas beaucoup de ressources pour les hommes violents, encore moins pour les délinquants sexuels qui voudraient avoir accès à de la thérapie adaptée à leur situation (à moins de pouvoir payer pour des consultations privées onéreuses). Dans notre société qui pardonne facilement les inconduites sexuelles et/ou violentes aux artistes les plus populaires, le fameux changement qu’on brandit pour étouffer les voix des victimes, je n’y crois pas trop. J’irais même jusqu’à dire que c’est n’importe quoi.
En plus d’être l’occasion de faire un ménage dans nos playlists Spotify, la vague de dénonciations est aussi une opportunité fantastique d’observer comment les hommes près de nous vont réagir aux dénonciations lorsqu’ils ne sont pas visés par elles. À tous ceux qui nous incitent de prudence dans nos témoignages et qui déplorent la façon dont les agresseurs ont été exposés, à tous ceux qui brandissent le spectre des fausses accusations, nous vous voyons. On prend des notes. On n’oublie pas.